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trop redoutable pour que je ne prisse pas soin de l’éviter : « Ah ! pensai-je, si j’avais du fil de fer ! voilà ce qu’il me faudrait ! » Je n’en possédais pas, il est vrai, mais j’avais sous la main de quoi le remplacer : les cordes du piano.

Le piano devint donc une fois de plus l’objet de mon attention. Si j’avais pu y pénétrer, je l’aurais bien vite dépouillé de sescordes ; mais comment l’ouvrir ? Là gisait la difficulté. Naturellement, avec mon couteau dans son état actuel, il ne fallait pas songer aune opération pareille.

Alors un autre expédient s’offrit à mon esprit. J’avais à ma disposition des cercles de fer minces et flexibles dont je pouvais facilement me servir. Deux ou trois tours suffiraient pour me constituer une virole que je maintiendrais en l’entourant de ficelle fortement serrée. Sitôt pensé, sitôt fait, et je me trouvai de nouveau en possession d’un couteau véritable. La lame était notablement plus courte qu’auparavant, mais elle était encore assez longue pour traverser les planches les plus épaisses, et cette pensée me satisfit pleinement.

Ces diverses opérations m’avaient occupé au moins vingt-quatre heures. J’étais épuisé et je me serais certainement reposé plus tôt ; mais, quand j’eus brisé mon couteau, il me fut impossible de songer au sommeil. Maintenant que la confiance m’était revenue, je ne pus résister plus longtemps au désir de prendre du repos.

Je n’ai pas besoin d’ajouter que la faim me conduisit à mon misérable garde-manger. Si étrange que cela vous paraisse et me le paraisse à moi-même en ce moment, j’avalai mon souper avec autant de plaisir que j’en aurais aujourd’hui à goûter le meilleur rôti de bœuf.

Je passai la nuit dans mon appartement, derrière la futaille d’eau. Je dis la nuit ; il faisait peut-être jour ; qu’en sais-je ? Je dormis très bien et je me réveillai dans les meilleures dispositions. Mon nouveau régime, si répugnant qu’il fût, contribuait certainement à me donner de la vigueur. Je déjeunai en me réveillant, puis, retournant vers ma galerie, je pénétrai dans la caisse vide où j’avais passé presque tout un jour et une nuit.

Je me proposais à ce moment de reprendre le travail interrompu par la rupture de mon couteau. Vous pensez bien que, cette fois, je n’eus pas la témérité de faire de nouvelles pesées avec ma lame ; je l’appréciais alors plus que jamais, car il était clair que mon existence dépendait de sa durée.

« Si j’avais seulement un morceau de bois dur, » pensai-je. Et je me souvins qu’en défonçant le tonneau d’eau-de-vie j’en avais enlevé des planches assez larges. Je retournai à ma cabine, où je savais les avoir laissées ; je les y retrouvai sous des pièces de drap qu’il me fallut déplacer. J’en choisis une qui me sembla répondre au but que je me proposais. Après en avoir aminci l’extrémité avec mon couteau, je l’introduisis sous la planche que j’avais dessein de faire sauter et je l’enfonçai le plus possible, en frappant dessus avec un morceau de bois. Quand elle fut entrée d’une profondeur suffisante, je secouai avec force l’extrémité libre, et j’eus la satisfaction d’entendre le craquement des clous qui s’arrachaient. Mes doigts prirent alors la place du levier ; un instant après, la planche se trouva complètement détachée. La planche voisine céda plus facilement, ce qui me donna une ouverture suffisante pour vider le contenu de la caisse. Il consistait en paquets oblongs, assez semblables aux rouleaux de drap ou de toile, mais bien plus légers ; il en résultait que je pouvais les extraire plus facilement, sans être obligé de les débarrasser de leurs enveloppes.

Une des parois de cette caisse contiguë au piano me parut difficile à défoncer. J’y appliquai les talons et commençai à la battre en brèche, d’après ma méthode habituelle. Bientôt les planches se détachèrent les unes après les autres. Je me penchai alors pour faire une nouvelle reconnaissance. Un moment, je craignis de voir l’immense caisse de piano obstruer toute l’étendue de l’ouverture que je venais de pratiquer. Ce fut elle, en effet, que ma main rencontra tout d’abord ; mais je ne pus retenir un cri de joie quand je m’aperçus qu’elle bouchait à peine la moitié de l’ouverture. Bien plus, je découvris qu’au-dessus d’elle se trouvait un vide qui aurait suffi pour contenir une autre caisse de velours.

Quelle agréable surprise ! C’était autant d’avance pour mon tunnel. Ce vide avait la forme d’un triangle à sommet inférieur ; il résultait de la forme même du piano qui ressemblait à un immense parallélépipède tronqué, et il existait précisément au niveau de la troncature. Puisqu’il était inoccupé, il est probable qu’on n’avait trouvé aucun colis qui pût s’y adapter convenablement.

« Tant mieux pour moi, » pensai-je en dirigeant mes bras de ce côté avec l’intention de l’explorer plus attentivement.