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queue de cheval qui traînait presque jusqu’à terre ; sa couverture était chargée de galons d’or, ses mocassins garnis de boutons précieux, ses bras nus couverts d’anneaux d’argent, parmi lesquels s’enroulait un magnifique bracelet d’or garni de gros diamants.

Auprès de lui se tenait un autre homme, dans le costume ordinaire de ces Canadiens d’origine française qui trafiquent entre la baie d’Hudson et le cours de l’Orégon, — une grosse capote de laine à capuchon.

Toutefois, la face qui s’abritait sous ce capuchon n’avait rien de français et n’était autre que celle d’Evan Roy, le Highlander. Quant au chef en grand costume indien, c’était Mac Diarmid, le sang mêlé, l’ex-cadet de l’Académie de West-Point.

Ensemble ils promenaient leurs regards sur le bassin des deux cours d’eau, qu’ils pouvaient suivre jusqu’à la distance d’au moins trente milles, se déroulant le long de prairies d’un vert d’émeraude et de sombres vallées de pins.

Dans sa magnificence calme et sa splendeur luxuriante, ce spectacle n’éveillait que des idées de paix et de bonheur. De tous côtés des troupeaux de buffles paissaient tranquillement en’dépit du voisinage de l’homme, comme s’ils eussent été apprivoisés. À deux milles à peine de l’un de ces troupeaux, un grand village indien avait planté ses huttes dans un désordre pittoresque, entouré de chevaux qui erraient en liberté.

Comme le paysage qui l’entourait, ce campement présentait l’image d’une paix profonde. C’est à peine si de temps à autre on voyait une forme humaine sortir d’une tente de peaux, ou un enfant se rouler dans l’herbe sous les rayons du soleil.

« C’est vraiment une fête pour les yeux ! remarqua tout à coup Evan Roy, comme pour résumer ses impressions. Cependant on se prendrait à désirer que ces pauvres hères eussent des maisons pour s’abriter et des troupeaux pour se nourrir en hiver !…

— Quel bien leur a fait la civilisation pour qu’ils adoptent ses lois ? demanda le jeune chef, en revenant au sujet ordinaire de ses méditations. Vous demandez qu’ils aient des maisons et des troupeaux. Mais combien de temps les Yankees les leur laisseraient-ils sans venir les prendre ?… Mieux vaut pour eux rester dans une pauvreté errante qui est leur dernière sauvegarde.

— Oui, tant que dure la saison chaude. Mais ils sont bien avancés, n’est-ce pas ? quand l’hiver arrive. Si seulement ils pouvaient faire comme les animaux du désert et changer de climat aussitôt que la saison l’exige !

— Et pourquoi ne le peuvent-ils pas ? demanda le jeune homme avec colère. Jadis, c’est ce qu’ils faisaient tous les ans, émigrant quand le froid venait, depuis les lacs jusqu’aux bouches du Cimarron. Personne ne les en empêchait. Ils vivaient libres comme leurs pères avaient fait avant eux, se battaient bravement quand c’était nécessaire et se trouvaient heureux. Mais il a fallu que les blancs vinssent les expulser de chez eux, leur voler leur patrimoine… Oui, Evan Roy, le leur voler !… Oh ! je ne recule pas devant les mots, moi !… Mon père lui-même a cru bien faire, n’est-ce pas ? en donnant à sa femme indienne le titre et les droits d’une femme blanche. Il a rêvé de nous sauver de la vie sauvage, ma sœur et moi, en nous faisant élever dans les villes. Quel avantage cette éducation nous a-t-elle valu ? M’a-t-elle empêché d’être chassé de West-Point pour une faute insignifiante, et privé de ma commission ? Empêche-t-elle ma sœur Harotachtché d’être regardée avec dédain, — ou pour mieux dire traitée en fille de paria, — par des pécores qui ne sont pas dignes de porter la queue de sa robe, — et cela sous prétexte qu’elle est sang mêlé ? Mordieu ! Evan, j’ai plaidé cent fois ce procès dans ma conscience et je l’ai jugé en dernier ressort ! La race de mon père a causé la ruine de la race de ma mère. Je rendrai leur bien à ces misérables opprimés, je les vengerai, vous dis-je, ou je périrai à la tâche !

— Mais pourquoi vous embarquer dans une telle aventure, mon fils ? Votre mère appartenait à une tribu des Pieds-Noirs ; pourquoi venir ici parmi les Dakotas ?

— Il est vrai que les Dakotas ne me sont rien, Evan, mais il y a entre eux et moi affinité d’origine. La tribu de ma mère a disparut grâce à la guerre sans merci que lui ont faite les blancs ; ou ce qui en reste s’est réfugié en Canada, sous l’abri du drapeau britannique. Mais j’ai résolu de devenir le vengeur de toute la race indienne, et j’ai juré à ma mère de ne m’arrêter qu’après avoir confédéré tous les Peaux-Rouges contre les spoliateurs éhontés qui nous ont pris notre bien.

— Vous avez pourtant appris l’histoire,