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talons. Au bout de quelques minutes, des craquements m’annoncèrent que clous et cercles avaient cédé ; un coup de pied ou deux de plus, la planche vola en l’air et retomba entre les caisses. Je passai ma main à travers l’ouverture pour reconnaître la nature du colis qui venait ensuite ; je ne sentis que la surface rugueuse d’une autre caisse, sans pouvoir découvrir ce qu’elle contenait.

Quand la paroi que je venais d’attaquer fut complètement enlevée, je poursuivis mon examen. La caisse voisine s’étendait si loin dans tous les sens, qu’en étendant les bras à droite et à gauche, je ne pus réussir à en toucher les angles. Je n’en avais pas encore trouvé de cette dimension, et je n’avais pas la moindre idée de ce qu’elle renfermait. Pour me fixer à cet égard, j’introduisis mon couteau dans une fente du sapin, et je sentis quelque chose comme du papier. Ce n’était que l’enveloppe, au-dessus de laquelle je rencontrai une substance presque aussi dure que le marbre ; en pressant avec force je crus sentir que ce n’était pas de la pierre, mais un bois dur et poli. Un coup sec produisit une résonance singulière qui ne me fournit aucune indication nouvelle ; je me décidai donc à ouvrir la caisse. J’eus recours au procédé que j’avais déjà employé ; je coupai une des planches en travers ; elle avait près de douze pouces de largeur, et il me fallut de longues heures pour y parvenir, d’autant que mon couteau était complètement émoussé. Quand ma section fut terminée, j’arrachai les deux moitiés de la planche et j’obtins une large ouverture qui me permit d’examiner l’intérieur. J’en retirai d’abord des feuilles de papier ; puis je passai la main sur une surface glissante qui me sembla d’abord appartenir à une table d’acajou ; mais, en la cognant avec les doigts, elle rendit le son creux que j’avais déjà remarqué. Un coup plus violent produisit une vibration musicale qui me rappela le son d’une harpe éolienne. Je savais désormais à quoi m’en tenir : c’était un piano. J’en avais déjà vu un semblable ; c’était celui de notre petit parloir dont ma pauvre mère jouait souvent. Ainsi, l’objet qui me barrait la route n’était ni plus ni moins qu’un piano.

Cet instrument, d’une grande dimension, semblait une barrière vraiment infranchissable. Il était posé de champ et j’avais devant moi son couvercle dont l’épaisseur atteignait un pouce au minimum. Comment songer à pratiquer une ouverture dans du bois si dur et si épais, avec un instrument aussi imparfait et aussi émoussé que mon couteau ? Quand bien même j’y serais parvenu, à quoi cela m’eût-il avancé ? Sans connaître parfaitement la disposition intérieure d’un piano, je savais qu’on y trouve des touches d’ivoire noir et blanc, d’innombrables fils de fer, des pédales et mille pièces qu’il me serait extrêmement difficile de détacher les unes des autres. Mais, à supposer que je parvinsse à les retirer toutes et à les ranger derrière moi, la boîte de l’instrument avait-elle un diamètre suffisant pour que je pusse y pénétrer ? Certainement non. Tout bien considéré, puisque je ne pouvais pas pratiquer une brèche à travers cet immense mur d’acajou, il fallait bien le tourner. Je ne m’y décidai point sans chagrin. J’avais perdu toute une demi-journée pour ouvrir la caisse du piano, tout cela en pure perte. Mais qu’y faire ? Je n’avais pas le temps de m’abandonner à de stériles regrets ; comme un général qui fait un siège, je commençai une nouvelle reconnaissance des lieux pour trouver par quelle voie je pourrais arriver à contourner la forteresse.

Croyant encore à ce moment que j’avais au-dessus de moi une balle de toile, je ne songeai nullement à me diriger en haut. Je n’avais donc plus qu’à choisir entre la droite et la gauche, c’est-à-dire à prendre une direction horizontale qui malheureusement ne pouvait me rapprocher du but.

De chaque côté de l’immense caisse qui contenait le piano, j’en découvris une autre qui, autant que j’en pouvais juger, me parut assez semblable à celle dans laquelle je me trouvais en ce moment. Il était donc assez probable qu’elles contenaient également du drap, ce qui faisait beaucoup mieux mon affaire. J’avais tellement l’habitude d’ouvrir et de vider les caisses de drap, que cela me semblait une simple bagatelle ; j’aurais bien voulu que la cargaison en fût uniquement composée.

Tout en continuant mes explorations, je levai les bras pour m’assurer de combien le ballot qui surmontait la caisse vide en débordait le couvercle. À ma grande surprise, il ne débordait pas. Son volume était donc inférieur à celui des ballots de toile que j’avais rencontrés jusqu’alors. Supposant d’après cela qu’il pouvait contenir autre chose que de la toile, je l’examinai plus attentivement, et je fus agréablement surpris de trouver que ce n’était