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qu’elle serait considérable. Comme je vous l’ai déjà dit, je me trouvais tout au fond de la cale et j’en connaissais l’immense profondeur. Je me rappelais combien était longue la corde de poulie dont je m’étais servi pour descendre, et, comme l’écoutille m’avait semblé élevée, quand j’y avais jeté les yeux, après être descendu. Si donc tout cet immense espace était rempli de marchandises, et c’était probable, de quelle longueur serait le tunnel qu’il me faudrait percer !

Bien plus, je ne pouvais songer à le faire parfaitement rectiligne, en raison de la nature des colis que je rencontrerais sur mon passage : une balle de toile, par exemple, ou de toute autre substance aussi pesante, constituerait un obstacle qu’il me faudrait nécessairement tourner. Mais ce qui m’inquiétait surtout, c’était de savoir de quelle manière je parviendrais à me débarrasser des étoffes ou autres articles que j’allais retirer des caisses. S’ils étaient de ceux qui augmentent de volume quand on les déballe, j’étais condamné à voir se produire un encombrement qui s’opposerait invinciblement à la poursuite de mes opérations. Je craignais la toile plus que tout le reste ; aussi me berçais-je de l’espoir que la cargaison n’en contenait qu’une très faible quantité. Je pensais à tout ce que l’Inca pouvait bien enfermer dans sa vaste cale, et je me demandais de quelle nature devaient être les marchandises que l’Angleterre expédiait au Pérou ; mais j’étais trop peu au courant de la géographie commerciale pour m’en rendre compte. Je savais seulement que nous portions une cargaison de pacotille comme on en expédie d’habitude aux ports du Pacifique. Je devais donc m’attendre à y trouver un peu de tous les produits de nos grandes manufactures. Après une demi-heure de conjectures, je commençai à m’apercevoir que cela ne servait à rien. Il était évident que je ne pouvais dire ce que contenait le navire avant d’y avoir creusé mon puits.

Le moment de l’action était venu, et, m’arrachant à mes réflexions, je commençai ma tâche.

Vous vous souvenez que, lors de ma première expédition dans les deux caisses de drap, je m’étais assuré de la nature des colis voisins ; vous vous souvenez également, sans doute, qu’au-dessus de la première caisse de drap, j’en avais trouvé une autre semblable et une balle de toile. Or, j’avais déjà ouvert celle de drap ; il ne me restait plus qu’à en retirer le contenu pour franchir un nouvel étage. Si l’on considère le temps et la peine qu’il m’en coûtait pour effondrer une caisse, j’avais lieu de me féliciter de trouver la besogne déjà faite.

J’eus beaucoup de peine à détacher les uns des autres les rouleaux d’étoffe, tant ils étaient pressés. Je finis pourtant par y réussir ; puis je les portai l’un après l’autre, ou plutôt je les poussai devant moi jusque dans ma cabine, où je les empilai avec soin dans la futaille d’eau-de-vie, remplissant si bien tous les vides, qu’un rat n’aurait pas trouvé de place pour s’y fourrer. Non que je m’inquiétasse des rats désormais. Bien que j’en entendisse encore quelques-uns dans le voisinage, ma dernière razzia leur avait évidemment inspiré une crainte salutaire. Les cris terribles poussés par leurs compagnons sous mon étreinte avaient averti les survivants du danger qu’ils couraient en m’approchant. Par suite, il était probable qu’ils sauraient bien se tenir à distance pendant le reste du voyage. Ce n’était donc pas à leur intention que je bouchais si soigneusement tous les coins, mais pour économiser l’espace, car la crainte d’en manquer était le principal objet de mes préoccupations.

Je travaillais avec tant d’ardeur que la caisse fut bientôt vide, et le contenu si soigneusement réempaqueté que je ne perdis pas de mon précieux espace un volume supérieur à celui d’un seul rouleau.

Ce résultat encourageant me communiqua une bonne humeur, à laquelle je n’étais plus depuis longtemps accoutumé. Je montai alors dans la caisse que je venais de vider ; puis, disposant en travers une des planches que j’avais détachées, je m’y assis les jambes pendantes. Dans cette position, nouvelle pour moi, et où j’avais assez de place pour me redresser à l’aise, je trouvai une nouvelle source de satisfaction. Confiné depuis si longtemps dans une chambre de trois pieds de haut, quand j’en avais quatre, j’étais réduit à me courber chaque fois que je me mettais sur mes jambes.

Ces inconvénients sont légers quand on a peu de temps à les supporter, mais ils sont extrêmement pénibles à la longue. Aussi était-ce pour moi un véritable luxe de pouvoir m’étendre et me redresser à mon gré. Il m’était même loisible de me tenir debout. Les deux caisses, communiquant ensemble, offraient une hauteur d’au moins six pieds, si bien que