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térieur de la cale ; c’est dans cette dernière direction que je poussai mes travaux. Je n’ai pas besoin de vous les raconter en détail ; ils ressemblaient à ceux que j’avais déjà exécutés et durèrent plusieurs heures pour aboutir une fois de plus à une cruelle déception… une nouvelle balle de toile ! Je ne pouvais plus ni avancer de ce côté ni d’aucun autre ; les caisses de drap et les ballots de toile in environnaient de toutes parts ; impossible de franchir cette barrière. Telle fut la conclusion a laquelle j’arrivai et qui me plongea une fois encore dans le désespoir.

Ce fut heureusement pour un temps très court. Je me rappelai tout à coup avoir lu le récit des luttes qu’un enfant avait soutenues dans les circonstances les plus critiques : à force de courage et de persévérance, il était parvenu à surmonter tous les obstacles, et je me souvenais qu’il avait pour devise le mot latin excelsior, qui veut dire « plus haut ».

« Plus haut, pensai-je ; comment l’idée ne m’est-elle pas venue plus tôt de chercher dans cette direction ? J’ai tout autant de chances d’y trouver des vivres que dans une autre. »

Du reste, je n’avais pas à choisir et je résolus d’essayer.

L’instant d’après, j’étais sur le dos, le couteau à la main, et, m’étant convenablement étayé, avec des pièces de drap, pour travailler plus à mon aise, j’attaquai l’une des planches du couvercle ; je parvins à l’arracher après bien des efforts. Juste ciel ! mes espérances devaient-elles donc être toujours frustrées ? Hélas ! elles l’étaient encore une fois : ma main fiévreuse venait de rencontrer une toile grossière recouvrant un nouveau ballot d’étoffe. Restaient encore la première caisse de drap et la caisse de drap dont je n’avais pas exploré la partie supérieure. Comme dernier effort, je résolus de les ouvrir toutes deux avant d’aller prendre du repos. C’est ce que je fis, toujours avec le même insuccès. Au-dessus de la première se trouvait une caisse de drap, et une balle de toile sur l’autre.

« Dieu de miséricorde, m’avez-vous donc abandonné ? » m’écriai-je en tombant dans un état de complet épuisement.

Je fus assez heureux pour m’endormir, et, lorsque je me réveillai je me sentis le cœur plus léger sans que je pusse m’en expliquer le motif, car ma situation ne s’était nullement améliorée, et je n’avais ni conçu de nouvelles espérances ni formé de nouveaux plans.

J’avais la certitude de ne pouvoir franchir les caisses de drap et les ballots de toile, puisque je manquais d’espace pour empiler leur contenu derrière moi. Il n’y fallait donc plus songer ; mais je pouvais pousser mes recherches dans deux directions nouvelles, lune en face et l’autre à gauche.

En face se trouvait ma futaille d’eau. Elle n’était plus guère qu’à moité pleine ; j’eus un instant l’idée d’y pratiquer dans la partie supérieure une ouverture suffisante pour m’y introduire, puis de faire à l’autre extrémité une ouverture semblable, mais je réfléchis que je m’exposais de la sorte à perdre toute ma provision d’eau en une seule nuit. Un ouragan, comme nous en avions déjà eu plusieurs, pouvait surgir, et mon tonneau, culbuté par le roulis, répandrait ce précieux liquide, sans lequel j’aurais depuis longtemps péri d’une façon misérable.

Une autre considération m’arrêta : c’est que j’avais à gauche une direction bien plus facile à suivre à travers la tonne d’eau-de-vie. Je résolus donc de m’y ouvrir un passage ; peut-être trouverais-je au delà des vivres. Je n’y comptais guère, mais je priai Dieu de me donner le succès.

Pratiquer une incision à travers les épaisses planches de chêne qui formaient le fond de la futaille, est autrement difficile que de perforer du sapin : la tâche était rude et la planche refusa longtemps de céder ; mais, à force de frapper, j’eus la satisfaction de la détacher en partie. Alors quelques nouveaux coups solidement appliqués suffirent pour la repousser à l’intérieur de la futaille.

À l’instant même, une masse énorme d’eau-de-vie fit irruption dans l’étroit espace que j’occupais et le remplit en un clin d’œil. J’avais tellement de peine à maintenir ma tête au-dessus du niveau du liquide, que je craignis vraiment de m’y noyer. Il m’en était entré dans les yeux et dans la gorge au point de m’aveugler et de me couper la respiration. Je ne cessai de tousser et d’éternuer pendant un bon moment.

Je n’avais guère envie de rire ; pourtant je ne pus m’empêcher de penser à la singularité du duc de Clarence demandant à être noyé dans un tonneau de Malvoisie. L’inondation qui me menaçait disparut presque aussi vite qu’elle s’était produite. Au bout de quelques secondes, elle était allée rejoindre les eaux croupissantes qui clapotaient à fond de cale ;