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Je tremblais en retirant le rouleau d’étoffe et plus encore quand je plongeai la main dans ma caisse. Miséricorde, elle était vide ! Pas tout à fait, cependant, car je posai la main sur un corps mou et lisse ; c’était un rat !… Je la retirai subitement, tandis que l’animal effrayé se sauvait d’un bond. Je tâtai de nouveau et je trouvai un autre rat, puis un autre, puis un autre ! la caisse en paraissait remplie. Ils s’échappèrent dans toutes les directions ; quelques-uns même me sautèrent sur la poitrine, tandis que d’autres se heurtaient aux parois de la caisse en poussant de grands cris.

Je réussis à les disperser ; mais hélas ! quand j’examinai mes provisions, je ne trouvai plus que quelques biscuits brisés et un monceau de miettes avec lesquelles les rats festinaient quand je les avais surpris.

Cette découverte m’épouvanta tellement que je restai quelque temps sans savoir ce que je faisais.

Les conséquences étaient assez claires : la famine se dressait devant moi ; les miettes, laissées par les hideux voleurs et qu’une heure de plus leur aurait suffi à dévorer, ne pouvaient me nourrir une semaine ; et après ! la famine et la mort !

J’étais si désespéré que je ne fis même rien pour empêcher les rats de retourner à la caisse ; puisque j’étais condamné à mourir de faim, à quoi bon retarder le moment fatal. Autant mourir tout de suite que d’attendre la fin de la semaine. Vivre quelques jours encore, me sachant condamné à une mort certaine, était plus terrible que la mort elle-même ; et alors me revenaient ces sombres pensées de suicide qui m’avaient une fois déjà traversé l’esprit ; mais elles ne me troublèrent qu’un instant. Je me souvenais de les avoir eues déjà et d’en avoir été délivré d’une façon presque miraculeuse. Quoique je ne susse pas ce qui pouvait me secourir, il y avait peut-être encore pour moi quelque moyen de salut ; la main de la Providence pouvait me l’indiquer, comme elle l’avait déjà fait.

Ces réflexions me rendaient une lueur d’espérance, bien faible assurément, mais suffisante pour rappeler mon énergie et m’arracher au désespoir. La présence des rats n’y contribua pas moins. Je m’aperçus qu’ils se rapprochaient de la caisse et se disposaient à y rentrer pour continuer leur œuvre de destruction. Je découvris qu’ils avaient pénétré dans la caisse à biscuits, non par l’ouverture dont je me servais, mais du côté opposé, en passant par la caisse à étoffes dont j’avais enlevé une des planches. Ils avaient dû toutefois ronger d’abord la paroi postérieure, ce qui avait exigé assez de temps ; sans cela leur invasion eût été plus rapide, et je n’aurais pas trouvé une seule miette de biscuit.

Poussé par l’instinct de la conservation, je transférai les miettes de la caisse à ma petite étagère ; je me barricadai de nouveau et m’étendis sur ma couche pour réfléchir à ma situation, que ce malheur inattendu rendait plus sombre que jamais.

Je restai ainsi de longues heures à considérer le pitoyable état de mes affaires, sans qu’une pensée réconfortante se présentât à mon esprit. J’étais si désespéré que je ne fis même pas l’inventaire de mes miettes, mais je calculai à peu près, par le volume du tas, que j’en avais pour dix jours, une quinzaine de jours au plus, avec la perspective d’une mort lente et douloureuse à cette époque.

L’abattement auquel j’étais en proie me rendait inerte et pusillanime ; mon esprit était, pour ainsi dire, paralysé ; mes pensées s’égaraient ou se concentraient sur le terrible destin qui m’était réservé.

Quand la réaction se produisit, l’espérance, si faible qu’elle fût, me revint graduellement : « Pourquoi, pensai-je, puisque j’ai trouvé une caisse de biscuits, n’y en aurait-il pas une seconde, sinon à côté, du moins dans le voisinage ? » Dès que j’eus conçu cette idée, je me demandai par quel moyen je pourrais m’assurer s’il y avait réellement une autre boîte de biscuits à ma portée. Mon plan fut bientôt fait, car il n’y en avait qu’un de possible. Il consistait à m’ouvrir un passage avec mon couteau à travers les colis, quels qu’ils fussent, caisses, balles ou tonneaux, jusqu’à ce que je rencontrasse les biscuits désirés. Cela me paraissait plus praticable à mesure que j’y réfléchissais. Une entreprise qui semble difficile dans les circonstances ordinaires, est envisagée bien différemment par celui dont la vie est en danger et qui sait que son salut dépend du succès. Les plus grandes fatigues et les plus cruelles privations deviennent de bien légères épreuves quand l’existence est en jeu.

C’est de ce point de vue que je contemplais ma nouvelle entreprise, et je faisais peu de cas du temps et de la peine qu’elle allait