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che cédant sous la pression, je ne pus maintenir l’animal, qui se sauva en poussant un cri aigu, et me grimpa le long de la jambe à l’intérieur de mon pantalon.

Un frisson d’horreur me courut dans les veines ; sans perdre mon sang-froid cependant, je jetai mes chaussures, qui ne pouvaient plus me rendre aucun service, et je saisis le rat juste au moment où il m’atteignait le genou. Je parvins à le maintenir, bien qu’il se débattît avec une force surprenante et en poussant des cris terribles.

Je le pressai de toute ma force, sans me soucier de la douleur de mon pouce. L’étoffe de mon pantalon protégeait mes doigts contre de nouvelles morsures, mais je ne sortis point indemne de la lutte ; mon implacable ennemi m’enfonça ses dents dans la chair et les y maintint tant qu’il put faire un mouvement. Ce n’est qu’après lui avoir passé mon ponce autour de la gorge et l’avoir dûment étranglé, que je sentis ses dents lâcher prise. Je compris alors qu’il était bien mort. Je le lâchai, à mon tour, et secouai mon pantalon pour l’en faire sortir ; puis, retirant ma jaquette de l’ouverture, je le lançai dans la direction d’où il était venu.

Grandement soulagé et persuadé que je ne serais plus troublé désormais par cette affreuse bote, je me recouchai avec l’intention de réparer le temps perdu la nuit précédente.

Je me berçais d’une fausse sécurité ; je ne donnais pas depuis un quart d’heure, quand je fus brusquement réveillé par quelque chose qui me courait sur la poitrine. Était-ce un autre rat ? c’était du moins un animal qui lui ressemblait beaucoup.

Je restai quelques instants immobile, prêtant une oreille attentive ; mais je n’entendis rien. Avais-je rêvé ? Non, car, juste à ce moment, je sentis de petits pieds se mouvoir sur ma couche, et, l’instant d’après, sur ma cuisse.

Je me relevai, et, avançant la main, je fus de nouveau pénétré d’horreur ; je venais encore de toucher un énorme rat, que j’entendis se précipiter d’un bond par l’ouverture située entre les deux futailles. Ce ne pouvait être celui que je venais de dépêcher ; les chats reviennent parfois à la vie après qu’on les a crus morts, mais je n’avais jamais entendu dire que les rats fussent doués d’une pareille vitalité. Non, mon rat était bien mort ; je l’avais étranglé dix fois pour une ; ce ne pouvait donc être le même.

Pourtant, si absurde que cela paraisse, je m’imaginais, dans le demi-sommeil où j’étais, que mon rat était revenu pour se venger. Cette idée m’abandonna naturellement dès que je fus éveillé. C’était bien plutôt son conjoint, si j’en jugeais par son énorme taille. Sans doute, pensais-je, c’est la femelle de celui que j’ai tué qui est à la recherche de son compagnon ; mais, puisqu’elle est venue par le même chemin, elle doit avoir rencontré le cadavre et savoir ce qui est arrivé. Venait-elle pour venger sa mort ? Comment dormir à deux pas de ce hideux animal rôdant autour de moi, peut-être avec le dessein de m’attaquer ?

Si fatigué que je fusse de cette veille prolongée, je ne pus me résoudre à prendre du repos avant de m’être débarrassé de ce nouvel assaillant. J’étais convaincu qu’il reviendrait bientôt. Je l’avais seulement effleuré des doigts sans lui faire de mal ; la crainte ne pouvait donc l’empêcher de reparaître.

Dans cette conviction, je me plaçai près du passage, ma jaquette en main, et j’écoutai attentivement. Quelques minutes après, j’entendis au dehors les cris d’un rat, puis, presque sans interruption, le grignotement et le piétinement que j’avais déjà remarqués. Bientôt, il me sembla entendre l’animal pénétrer dans ma chambre, et pourtant cela ne pouvait être, puisque les bruits que j’ai mentionnés continuaient au dehors. Je ne savais trop que penser, quand un cri perçant, parti cette fois bien certainement de l’intérieur de ma cabine, vint frapper mon oreille. Sans plus attendre, je bouchai solidement le passage, puis je me retournai vers le rat, après avoir pris la précaution d’introduire mes mains dans mes bottines. De plus, j’avais eu soin d’attacher autour de mes chevilles les jambes de mon pantalon, craignant que le rat ne prît la même route que son prédécesseur. Ainsi préparé, je commençai une chasse qui n’était guère de mon goût : mais j’étais résolu à me débarrasser de mon nouvel assaillant, afin de pouvoir dormir en paix, et je ne voyais pas d’autre moyen que de l’occire comme son compagnon.

Je me mis donc à l’œuvre ; mais imaginez l’horreur et l’effroi dont je fus saisi, quand, au lieu d’un rat, je m’aperçus qu’il y avait une légion de ces hideuses bêtes, renfermées dans mon appartement ! Ils étaient si nombreux que j’en atteignais un à chaque coup !