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lui, et il me faudrait lutter pour le détruire. J’en viendrais bien à bout sans doute ; j’étais assez fort pour l’étrangler ; mais n’avais-je pas à craindre de cruelles morsures ? Or, celle que j’avais déjà reçue ne m’inspirait aucun désir d’en recevoir de semblables. Mais comment faire sans piège ? C’est ce que je me demandais, tandis que la crainte de voir revenir le rat m’empêchait de dormir.

Le matin était presque venu, et je tombai de fatigue dans l’assoupissement, sans avoir trouvé un moyen pratique d’attraper l’animal qui me causait tant de frayeur et de soucis.

Après plusieurs heures d’un mauvais sommeil troublé par des rêves continuels, je me réveillai sans pouvoir me rendormir, tant le rat me préoccupait. Les souffrances causées par ma blessure auraient d’ailleurs suffi à me tenir éveillé, car non seulement le pouce, mais toute la main était gonflée et très douloureuse.

Les grands maux font oublier les petits ; c’était mon cas. La crainte de revoir le rat m’inquiétait bien plus que la douleur de ma blessure. Comme toute mon attention était absorbée par cette crainte, j’oubliai presque que mon pouce me faisait mal.

Dès que je fus réveillé, je me remis à chercher le moyen de prendre cet animal. J’étais bien sûr qu’il reviendrait, car j’avais de nouveaux indices de sa présence. Le temps était calme, je pouvais saisir le moindre bruit, et j’entendis à plusieurs reprises quelque chose, un léger piétinement résonnant sur le couvercle d’une caisse vide, et le petit cri strident du rat. Je ne sais rien de plus désagréable que ce cri, et, à ce moment, il l’était doublement pour moi.

Vous pouvez rire de ma frayeur ; mais il n’y avait pas moyen pour moi de la surmonter. J’avais le pressentiment que la présence de ce rat mettait ma vie en danger, et vous verrez par la suite qu’il n’était pas sans fondement.

Je redoutais surtout qu’il m’attaquât pendant mon sommeil. Tant que j’étais éveillé, il ne pouvait pas me faire grand mal, me mordre peut-être ; mais c’était peu de chose, et je pourrais toujours le tuer d’une façon ou d’une autre. Mais si, pendant que je dormirais, il allait me saisir à la gorge ! Cette pensée me causait les plus vives alarmes. Je ne pouvais pas toujours rester sur le qui-vive. Plus je veillais longtemps, plus je risquais de tomber dans un profond sommeil et plus je courais de dangers. Il m’était interdit par conséquent de m’endormir avec sécurité avant d’avoir tué mon rat. Je réfléchis longtemps aux moyens d’y parvenir ; mais je ne pus trouver d’autre expédient que de le saisir avec les mains et de l’étouffer. Si j’avais été sûr de l’empoigner par le cou, de façon qu’il ne pût me mordre, c’eut été bien facile ; mais c’est là précisément que résidait la difficulté.

Je me demandais comment je pourrais me garantir les doigts de ses morsures. Si j’avais possédé une paire de gants épais, c’eût été possible, mais il n’y fallait pas songer. Toutefois, l’idée des gants me suggéra celle de les remplacer par quelque chose à ma portée, par mes chaussures. En y introduisant les mains jusqu’aux poignets, elles seraient protégées contre les dents aiguës du rat, et si je réussissais seulement à maintenir l’animal sous les semelles, j’étais bien sûr d’avoir assez de force pour l’étouffer. Je me mis donc aussitôt en devoir de réaliser cette idée lumineuse. Après avoir placé mes chaussures près de moi, je me tapis à côté du passage par lequel le rat devait pénétrer. Je vous ai déjà dit que j’avais soigneusement bouché tous les autres ; je me proposais, le rat entré, de fermer l’ouverture avec ma jaquette avant qu’il pût fuir ; il serait alors à ma merci. Mettant ensuite mes gants avec rapidité, je frapperais à droite et à gauche jusqu’à ce que la besogne fût terminée. Il semblait que l’animal fût résolu à accepter la lutte ou que la fatalité le poussât ; en effet, j’avais à peine tout préparé qu’un léger piétinement et un petit cri m’annoncèrent sa présence sur ma couche ; j’entendis distinctement ses soubresauts et je le sentis une fois ou deux me courir contre les jambes. Je ne fis nulle attention à ses mouvements avant d’avoir pris toutes mes précautions pour empêcher sa retraite. Plantant alors solidement mes mains dans les bottines, je commençai la poursuite. Connaissant à fond la disposition et tous les recoins de ma petite chambre, je ne tardai pas à l’atteindre. Je frappais successivement les différentes parties de ma couche, persuadé que, si je réussissais à appliquer l’une de mes semelles sur une partie du corps de l’animal, j’aurais bientôt fait d’y poser la seconde et qu’il ne me resterait plus qu’à presser de toutes mes forces.

Je réussis, il est vrai, à atteindre le rat avec une de mes bottines ; mais, l’étoffe de ma cou-