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J’entendis de nouveau le grignotement dans la direction de mes souliers. Je me soulevai alors dans le plus grand silence, tout prêt à y porter la main ; puis j’attendis la répétition du bruit, mais en vain. Je tâtai mes chaussures, je les trouvai à leur place et rien n’y manquait. J’explorai tout le parquet de ma cellule sans plus de succès, je n’y rencontrai rien d’extraordinaire.

Fort perplexe, comme vous devez le penser, j’écoutai longtemps encore, mais sans entendre le bruit mystérieux ; puis je tombai, comme cela m’était arrivé d’abord, dans un sommeil fréquemment interrompu.

Une fois encore, le premier bruit se reproduisit et attira mon attention. Il venait de mes chaussures à n’en pas douter ; mais à mon premier mouvement, il cessa instantanément, comme si j’avais effrayé l’animal qui le produisait, et je n’en pus rien découvrir.

« Ah ! j’y suis maintenant, pensais-je, c’est une souris, ni plus ni moins. Il est étrange que je ne l’aie pas deviné plus tôt ; je me serais épargné bien du souci.

Là-dessus je me recouchai, bien décidé à m’endormir et à ne plus me préoccuper de la souris et de ses mouvements.

À peine avais-je posé la tête sur l’oreiller, que le grignotement recommença de plus belle. L’idée me vint alors que la souris, en rongeant mes chaussures, pouvait les endommager sérieusement, bien qu’elles ne me fussent d’aucune utilité pour le moment, je n’étais point d’humeur à les laisser dévorer de la sorte, et, me soulevant de nouveau, je m’élançai sur la souris. Je ne réussis même pas à la toucher ; mais il me sembla l’entendre s’esquiver par l’ouverture qui existait entre le tonneau d’eau-de-vie et la paroi du navire.

À l’examen de mes bottines, je découvris avec regret que l’empeigne de l’une d’elles était complètement rongée. Il fallait que la souris eut été vite en besogne pour faire tant de dégât en si peu de temps, car, peu d’heures auparavant, je les avais encore trouvées intactes : probablement plusieurs souris s’étaient mises de la partie.

Afin de n’être pas troublé dans mon sommeil et aussi pour sauver mes chaussures d’une destruction totale, je les retirai du coin où elles étaient, et les plaçant près de ma tête, je les recouvris d’un pli de l’étoffe ; puis, je me recouchai pour dormir.

Je me rendormis, mais je fus bientôt réveillé par une sensation étrange ; il me semblait qu’un être courait sur mes jambes avec rapidité.

Tout éveillé que j’étais, je n’en restai pas moins immobile pour m’assurer si la même chose se reproduirait. Je conclus naturellement que la souris était en quête de mes bottines, et, comme il lui était facile de s’échapper par l’une des crevasses au premier mouvement que je ferais, je résolus de ne pas bouger et de la laisser venir à portée de ma main. Peut-être alors réussirais-je à la prendre. Ce n’est pas que j’eusse envie de la tuer ; mais je voulais lui tirer l’oreille assez fort pour lui ôter toute envie de revenir m’importuner. Je restai longtemps sans rien entendre ni sentir. À la fin, je vis le moment où ma patience allait être récompensée. Par un léger mouvement de l’étoffe qui me servait de couverture, je compris que quelque chose courait à la surface, et je crus même distinguer le frôlement de petites pattes, bientôt le mouvement sembla se rapprocher davantage ; puis je sentis un animal me grimper sur la cheville et le long de la cuisse. Il me semblait bien lourd pour une souris ; mais je ne pris pas le temps de réfléchir à cette particularité, car c’était le moment ou jamais de le saisir. J’étendis vivement la main et je serrai fortement. Jugez de l’horreur qui s’empara de moi en étreignant, au lieu d’une souris, un animal presque aussi gros qu’un petit chat !… Plus de doute, c’était un énorme, un horrible rat !