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cheveux ; chargez-vous de la remettre à Juliette. Dites-lui que ma dernière pensée a été pour elle, et que mon dernier mot a été son nom. Dites-lui aussi, en lui lisant cette lettre, que jamais, — plus jamais, — elle n’entendra parler de

« Frank Armstrong. »

En achevant sa lecture, la jeune fille laissa tomber sa voix et resta immobile, les yeux perdus dans le lambeau de ciel bleu encadré par la fenêtre. Des larmes roulaient sous ses cils : mais, à sa douleur, se mêlait sans doute quelque pensée consolante, car une sorte de demi-sourire semblait se jouer sur sa douce petite figure.

Tout à coup la voix irritée de sa cousine la ramena aux réalités d’ici-bas.

« Pourquoi ne me donnez-vous pas cette boucle de cheveux ? demanda impatiemment Juliette. Il vous a chargé de me la remettre, et vous essayez de la garder ! »

Nettie s’était dressée sur ses pieds, toute tremblante. Juliette fit de même, et les deux jeunes tilles restèrent un instant face à face, se regardant dans les yeux.

« Eh bien ! me donnerez-vous cette boucle ? reprit Juliette. Vous Savez bien qu’elle est à moi et que vous ne lui étiez rien ?

— Rien ! s’écria Nettie, rien ! Pouvez-vous le dire, alors qu’il m’a chargée d’une mission sacrée auprès de vous, et qu’il a voulu que je pusse rester son témoin entre vous et lui ! Ah ! Juliette, cette part de sa confiance n’est pas si petite que vous vous l’imaginez, et vous ne seriez pas si fâchée si vous ne pensiez comme moi sur ce point. Frank a plus compté sur moi que sur vous quand il a écrit ses dernières paroles. »

Pour toute réponse, Juliette, irritée, avançait la main pour s’emparer du précieux souvenir, quand, tout à coup, — à sa surprise et à son horreur, — elle vit Nettie s’abattre sur le parquet, privée de sentiment.

Miss Brinton se jeta sur la porte, l’ouvrit et appela au secours.

Le commandant, sa femme, toute la maison se hâta d’accourir. Le docteur Slocum fut mandé immédiatement.

Quand il releva la tête, après être longtemps resté penché sur la petite malade, sa physionomie était soucieuse

« Il faut du repos, du calme, — une obscurité profonde, dit-il à demi-voix. La tension nerveuse est extrême… — J’ai bien peur que nous ayons affaire à une fièvre cérébrale, ajouta-t-il à l’oreille du commandant.

— Eh bien ! voilà une belle affaire ! ne put s’empêcher de dire celui-ci. Nous partons en colonne demain au point du jour, et le juge Brinton est, lui aussi, rappelé dans l’Est…

— Est-ce que cette pauvre enfant est dangereusement malade ?… demanda mistress Saint-Aure en se joignant à la conférence.

— Je le crains, répondit le docteur. Et le repos le plus absolu est indispensable.. La faire voyager dans cet état serait la tuer.

— Eh bien ! elle restera ici, voilà tout, fit mistress Saint-Aure, de son ton calme et résolu. Je la soignerai comme si elle était ma fille. »

Le lendemain matin, au moment où les clairons du fort sonnaient la diane, le juge, fort affairé, et Juliette étaient installés dans un char-à-bancs qui les emportait vers la station la plus voisine, tandis que mistress Saint-Aure s’était établie au chevet de la petite malade.

Nettie Dashwood, en proie à un délire ardent, n’avait pas la moindre conscience de ce qui se passait autour d’elle. Dans l’agitation de sa fièvre, elle se tournait et se retournait sans trêve sur sa couche. Ces mouvements finirent par amener au jour un petit objet brillant suspendu à son cou par une chainette, et sur lequel les yeux de l’aimable garde-malade tombèrent involontairement.

À ce moment, la fanfare du régiment, éclatant dans la cour du fort, attaqua la marche du Drapeau étoile et appela mistress Saint-Aure à la fenêtre.

Le 12e dragons, au grand complet, quittait le fort Lookout, suivi d’une batterie de canons et de trois bataillons d’infanterie. Le commandant, vêtu de peau de daim et coiffé de son grand chapeau blanc à larges bords, tenait la tête de la colonne. Devant lui couraient deux grands lévriers favoris qu’il emmenait toujours en expédition. Sa femme lui envoyait de la main un dernier adieu, quand un cri perçant, parti du fond de la chambre, la rappela au chevet de la malade.

« Frank ! Frank ! Ah ! ne me quittez pas !… criait la pauvre Nettie.

« Je vous connais ! reprit-elle en fixant ses beaux yeux égarés sur mistress Saint-Aure. C’est vous, cousine ! Vous vouliez vous mettre