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de mon bras qui se trouvait éloigné du corps ; il semblait déterminé à m’attaquer à la face ou à la gorge. Je devinais ses intentions à l’ardeur qu’il déployait ; mais, malgré l’horreur dont j’étais saisi, je ne pouvais rien faire pour le repousser, je ne pouvais remuer ni bras ni jambe, ni un seul muscle de mon corps. Comment l’aurais-je pu, puisque j’étais mort ? Ah ! le voilà sur ma poitrine, à ma gorge… il va me saisir… Ah !

Je m’éveillai en poussant un cri et me relevai subitement ; je me serais trouvé debout si la hauteur de ma cabine me l’avait permis ; mais elle était insuffisante, comme vous savez, et je retombai sur ma couche après m’être heurté violemment la tête contre la grande varangue de chêne du navire. C’est ainsi que je repris conscience de ma situation.


CHAPITRE XII
UNE COUPE ORIGINALE


Je sortais d’un rêve, et je savais bien qu’il était impossible qu’un crabe m’eût grimpé le long du bras ; pourtant je ne pouvais m’empêcher de croire qu’un crabe ou un autre animal quelconque m’avait bien réellement assailli. J’éprouvais à la main et sur ma poitrine cette sensation particulière de fourmillement produite par les pattes d’un petit animal vous grimpant sur le corps. Je demeurais donc persuadé qu’il y avait eu dans mon rêve quelque chose de réel. Ma conviction était même si vive qu’à mon réveil j’avais machinalement étendu la main et tâtonné sur ma couche, espérant saisir quelque créature vivante. Que pouvait bien être cette créature ?

Je restai longtemps à méditer sur les circonstances de mon rêve ; à la fin, l’impression pénible qu’il m’avait occasionnée s’évanouit peu à peu.

En consultant ma montre, je trouvai que j’avais dormi infiniment plus que d’habitude, presque seize heures ! C’était la conséquence de ma veille prolongée pendant la tempête et du mal de mer que celle-ci m’avait causé. Me sentant plus affamé que je ne l’avais été depuis longtemps, je me mis en devoir de satisfaire mon appétit. Quoi que je fisse, je ne pus résister à la tentation de dépasser ma ration ordinaire ; je ne cessai de manger qu’après avoir englouti quatre de mes précieux biscuits. J’avais entendu dire que rien ne donne faim comme le mal de mer ; rien de plus vrai ; mes quatre biscuits avaient à peine réussi à émousser mon appétit. La seule crainte de la famine m’empêcha d’en manger trois fois autant. Ma soif n’était pas moins vive, et je bus bien plus que de coutume ; mais je regardais moins à l’eau, tant je me croyais sûr d’en avoir plus qu’il ne m’en fallait pour terminer le voyage. Il y avait cependant quelque chose qui m’inquiétait à ce sujet : chaque fois que je voulais boire, j’en perdais beaucoup faute d’un vase pour la recevoir. En outre, rien de plus incommode ; dès que j’enlevais le fausset, l’eau, jaillissant en plus grande abondance que je ne pouvais l’avaler, me suffoquait à demi ; je ne réussissais jamais à remettre mon fausset en place avant d’avoir le visage et les vêtements inondés. Si j’avais seulement eu une tasse ou n’importe quel vase ! J’avais bien pensé à mes bottines qui ne m’étaient d’aucune utilité ; mais j’avoue que j’éprouvais une certaine répugnance à m’en servir pour cet usage. Je n’aurais point hésité sans doute à l’époque où je mourais de soif ; mais c’était différent, maintenant que je possédais de