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bituer. D’ailleurs, j’avais bien vite trouvé un remède à la dureté de mon lit. J’avais remarqué que la caisse placée derrière ma boite à biscuits contenait du drap fin disposé en larges rouleaux, tel qu’il était sorti de la manufacture ; l’idée me vint de le faire contribuer à mon confort, et je me bâtai de la mettre en pratique. Après avoir enlevé les biscuits qui me gênaient, j’élargis l’ouverture que j’avais déjà pratiquée dans la caisse d’étoffes et j’en retirai avec beaucoup de peine une des pièces de drap. J’eus plus facilement raison des suivantes, dont je retirai ce qu’il m’en fallut pour ce que je voulais faire.

Après avoir remis tous les biscuits en place, j’étendis sur les planches ma somptueuse couche et m’y reposai avec un sentiment de bien-être que je n’avais pas encore éprouvé.

J’aspirais surtout après la lumière ; vous ne pouvez concevoir toute l’horreur d’une existence passée ainsi dans les ténèbres.

Je m’imaginais qu’une lumière me ferait paraître le temps moins long ; il me semblait, en effet, que les ténèbres entravaient les rouages de ma montre et suspendaient la marche du temps ; elles me causaient une douleur qu’un rayon de lumière eût soulagé à l’instant même.

Il y avait déjà plus d’une semaine que je menais cette existence monotone. Je n’entendais au-dessus de moi que le sourd mugissement des vagues ; je dis au-dessus de moi, car, à la profondeur où j’étais, je me trouvais au-dessous du niveau de la mer.

Ce qui vous étonnera sans doute, c’est que je saisissais parfaitement les moindres changements de temps. Le roulis du navire et les craquements de sa coque m’indiquaient avec précision la direction du vent et l’état de la mer. Le dixième jour du voyage, nous fûmes assaillis par une véritable tempête. Elle fut terrible et dura deux jours et une nuit. Le bruit produit par les caisses et les tonneaux qui se heurtaient violemment entre eux ou contre les parois du vaisseau étaient vraiment épouvantable. Par moments, j’entendais le mugissement des vagues furieuses qui déferlaient contre les flancs de l’Inca, qu’elles menaçaient de mettre en pièces. J’étais persuadé que nous allions faire naufrage. Pensez alors dans quelle situation j’étais, et jugez de ma frayeur. Si le navire coulait, muré de toutes parts comme dans un cercueil, je ne pouvais faire aucun effort pour me sauver à la nage. Ah ! si j’avais été sur le pont et libre de mes mouvements, je suis bien sûr que ma frayeur eût été moitié moindre.

Pour augmenter ma misère, je fus repris du mal de mer, ce qui arrive en général à ceux qui font leur premier voyage. Le gros temps ramène cette dégoûtante indisposition parfois avec autant d’intensité qu’au premier jour. Rien de plus facile à expliquer : c’est la conséquence de l’énorme tangage du navire ballotté par les flots.

Après quarante heures environ, la tempête se calma. Je n’entendais plus le sifflement du vent et le grondement de la mer ; pourtant le roulis était encore considérable, le choc des colis et le craquement des charpentes étaient aussi bruyants que jamais. C’était le résultat de la houle, qui persiste toujours après une tempête et est quelquefois aussi dangereuse que la tempête elle-même. On voit en pareil cas les mâts se briser et le navire abattu en quille, catastrophe toujours redoutée des marins.

Cependant la houle diminua graduellement ; environ vingt-quatre heures plus tard elle cessa tout à fait, et l’Inca sembla glisser sur la mer comme sur un lac. En même temps mes nausées disparurent, et le bien-être que je ressentis alors me rendit un peu de courage. La frayeur m’avait tenu éveillé tout le temps de l’orage, et le mal de mer ne m’avait pas laissé un instant de repos ; aussi me sentais-je complètement épuisé. Dès que le calme fut rétabli, je tombai dans un profond sommeil.

Je fis alors des rêves presque aussi terribles que les dangers dont je venais de sortir ; je vis en songe la réalisation de tout ce que j’avais redouté. Je me voyais enfermé dans la cale et sans pouvoir faire un mouvement pour me sauver ; pis encore, je me voyais étendu au fond de la mer, mort, mais avec toute ma connaissance. Je distinguais tous les objets, autour de moi, et j’apercevais entre autres d’horribles monstres verts, crabes ou homards rampant vers moi, comme pour me déchirer de leurs pinces hideuses et se repaître de ma chair. L’un d’eux surtout attirait mon attention ; il paraissait plus grand et plus menaçant que les autres. Chaque instant le rapprochait davantage… il atteignait ma main… je sentis sur mes doigts son contact rude et glacé ; mais il me fut impossible de faire le moindre mouvement pour le rejeter loin de moi.

Il rampa ensuite sur mon poignet et le long