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à sa mémoire. La lettre m’est adressée, mais elle est pour vous, sans nul doute… Voulez-vous que je vous la lise ? Dois-je rompre, le cachet ?

— Hélas ! il le faut bien, reprit Juliette en portant de nouveau son mouchoir à ses yeux.

Nettie n’hésita plus. Tirant de son corsage le pli cacheté, elle lut les deux lignes tracées sur l’enveloppe :

« Pour être ouvert seulement si je suis pris ou tué par les Indiens.

« À Nettie Dashwood, la meilleure et la plus sûre des amies. »

« Entendez-vous ? Il m’appelle la meilleure et la plus sûre des amies !… Dieu le bénisse, le pauvre enfant ! »

Et la jeune fille, levant les yeux vers le ciel, resta un instant silencieuse.

« Je vous en prie, ne me faites pas attendre plus longtemps ! s’écria impatiemment Juliette. Vous faites vraiment trop bon marché de mon chagrin. »

Nettie se hâta de faire sauter le cachet et déploya la feuille de papier que contenait l’enveloppe. Une boucle de cheveux s’en échappa.

« Oh ! ceci est pour moi ; — Juliette vous ne direz pas non, n’est-ce pas ? Il me l’adresse pour me montrer qu’il ne m’oublie pas en ce moment… »

Cette fois Juliette ne sanglotait plus.

« À votre place, je lirais d’abord la lettre, dit-elle d’un ton assez sec. Comment savoir sans cela pour qui sont ces cheveux ?…

— N’importe, vous me les laisserez, n’est-ce pas ? Songez donc que je n’ai rien…

— Lisez donc cette lettre ! interrompit, non sans aigreur, miss Juliette, ou bien laissez-moi la lire ! »

Cette fois Nettie ne se fit plus prier.

Fort Lookout, 13 septembre.

« Ma chère Nettie, ma meilleure amie,

« Je vais m’engager dans une périlleuse expédition, d’où je me suis juré de ne revenir qu’avec une mise à l’ordre du jour de l’armée. Si je pouvais croire que quelqu’un lira ceci, moi vivant, je ne l’écrirais pas. Vous savez combien j’ai horreur de tout ce qui ressemble à une fanfaronnade. Mais vous savez aussi combien et pourquoi j’ambitionne de me distinguer ; c’est, je n’ai pas à vous l’apprendre, bonne et chère Nettie, dans l’espoir bien fou peut-être, de me rapprocher, grâce à quelque renom, de votre cousine Juliette, la brillante étoile de ma vie… »

(Ici un sourire de vanité satisfaite se dessina sur les lèvres roses de Juliette.)

« J’ai résolu de pénétrer au cœur même du camp des Indiens. Si j’en reviens, ce sera avec un peu de gloire. Si dans un mois je ne suis pas de retour, c’est apparemment que nous ne nous reverrons plus jamais. Van Dyck est un brave garçon, mais je doute fort qu’il soit de la partie, et je ne saurais l’en blâmer bien vivement. Si j’étais aussi riche qu’il l’est, et le cousin de Juliette Brinton, qui sait, ma chère Nettie, si l’armée aurait longtemps l’avantage de me compter dans ses rangs !

« Mais j’ai mon nom à faire, et le chemin qui peut me mener au but est bordé de précipices. Je ne mettrai jamais trop au jeu, pour avoir chance de gagner un lot si précieux. J’ai confiance en ma destinée, et je la réaliserai ou j’y laisserai ma vie.

« Je vous écris ceci, Nettie Dashwood, parce que je connais la loyauté de votre cœur et la fidélité de votre amitié. Quand je ne serai plus, dites à Juliette combien je lui ai été attaché. Elle est si belle et si brillante, tant d’admirateurs se pressent autour d’elle, qu’à peine peut-elle avoir distingué dans la foule le plus humble d’entre eux. Mais vous, petite amie, vous savez tout ; vous connaissez le culte que je lui ai voué depuis ce bal, vous souvenez-vous ? — ce bal où m’avez demandé un bouton de ma tunique pour faire la grande fille. Chère Nettie, vous n’étiez qu’une enfant alors, mais je n’ai jamais oublié vos aimables petites façons. Quel malheur que vous ne soyez pas un garçon ? Nous aurions été inséparables. »

(Ce passage, il faut bien le dire, ne parut causer qu’un médiocre plaisir à miss Juliette Brinton. Elle jeta même à sa cousine un singulier regard en l’écoutant.)

« Mais je me laisse aller à parler du passé, quand je ne devrais penser qu’à régler mes affaires. J’ai laissé mon testament au capitaine Sainte-Aure, qui s’est chargé de l’exécuter pour moi : il s’agit de mon épée, que je désire faire envoyer à ma pauvre maman, et de quelques menus objets pour ma famille. À vous, chère Nettie, je confie mon mandat le plus sacré. Vous trouverez ici une boucle de