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Je m’efforçai, mais en vain, d’apprécier la quantité d’eau perdue. J’étudiais la résonance du tonneau en le frappant à différentes hauteurs avec le manche de mon couteau ; mais le craquement des poutres du navire et le bruit des flots ne me permettaient pas de différencier les sons avec exactitude. Je crus pourtant constater une grande résonance, indice d’un vide considérable. Si c’était une idée, en tout cas elle ne me plut guère, et l’abandonnai mon exploration, en proie à une vive anxiété. Heureusement, le trou du tonneau n’avait guère que le diamètre de mon petit doigt qui, à cette époque, n’était pas beaucoup plus gros qu’une plume d’oie, et je savais qu’il faudrait un temps considérable pour qu’une si grande futaille pût se vider par une si petite ouverture. J’essayai de me rappeler quand j’avais bu la dernière fois ; il ne me sembla pas qu’il y eût longtemps, une heure peut-être au plus ; mais impossible de fixer mes idées à ce sujet.

Je restai longtemps à considérer par quel moyen je pourrais déterminer la quantité d’eau que le tonneau contenait encore. Je me rappelais avoir entendu dire que les brasseurs, les tonneliers et les douaniers savent reconnaître à peu près la quantité de liquide contenu dans un baril sans le jauger. Ce fut pour moi un vif regret d’ignorer comment ils s’y prenaient.

Je connaissais bien un moyen, mais je manquais de l’instrument nécessaire pour y recourir. Je savais assez d’hydrostatique pour me rappeler que lorsqu’un tube est mis en communication avec un réservoir quelconque plein de liquide, celui-ci s’élève à la même hauteur dans le tube et dans le réservoir. Si donc j’avais eu à ma disposition seulement un tube élastique, en le fixant au trou de coulée, j’aurais immédiatement reconnu la hauteur de l’eau dans la futaille. Mais où trouver un tube ? Impossible d’employer ce procédé.

Juste à ce moment, je songeai à un autre moyen tellement simple que je fus surpris de ne pas y avoir pensé plus tôt. Il consistait à pratiquer un trou au-dessus de celui qui existait déjà, puis un autre, et ainsi de suite jusqu’au point où l’eau cesserait de couler. Je serais ainsi fixé sur ce que je voulais savoir. Si je faisais mon premier trou trop bas, je pourrais facilement le boucher avec un fausset, et de même pour les autres. C’était beaucoup d’ouvrage sans doute, mais je n’en étais pas fâché ; le travail m’aiderait à passer le temps et m’empêcherait de songer à ma misérable situation.

Comme je me mettais en devoir de commencer mon opération, il me vint à l’esprit que je ferais peut-être mieux de mettre en perce l’autre tonneau placé à l’extrémité de ma petite chambre. S’il contenait de l’eau, lui aussi, je n’avais plus besoin de m’inquiéter, car assurément deux futailles de cette dimension devaient en contenir assez pour le plus long voyage. Aussitôt je me mis à l’œuvre. Je n’étais pas si excité que la première fois, le résultat ne pouvant avoir la même importance. Je fus néanmoins très désappointé, quand, l’extrémité de ma lame pénétrant à l’intérieur, je reconnus qu’au lieu d’eau c’était de l’eau-de-vie qu’il contenait.

Je reportai alors mon attention vers la futaille d’eau. Plus anxieux que jamais d’en déterminer exactement le contenu, ma seule ressource désormais, je commençais à pratiquer un trou à peu près vers le milieu, et, après une bonne heure de travail incessant, je sentis les fibres les plus internes de la douve céder sous la pointe de mon couteau.

Mes appréhensions, quoique vives, ne l’étaient pas autant que la première fois ; je ne me trouvais plus en danger de mourir de soif sur l’heure, et, si cette triste éventualité devait se produire, la date m’en paraissait heureusement éloignée. Je ne pouvais néanmoins me défendre d’une certaine anxiété ; aussi poussai-je un cri de joie quand je sentis des gouttes d’eau fraîche filtrer le long de ma lame. Je fermai immédiatement la petite ouverture que je venais de faire, et j’en commençai une autre sur la douve supérieure. Cette fois encore j’obtins la récompense de mes peines. La perforation d’une troisième douve me donna le même résultat, mais à la quatrième, l’eau ne vint plus. Peu importait du reste, car j’étais arrivé près du sommet de la futaille, et, puisque j’avais trouvé de l’eau à l’avant-dernier trou, elle devait être plus qu’aux trois quarts pleine, ce qui me suffisait amplement pour plusieurs mois.

Enchanté de mon exploration, je m’assis et je dévorai un autre biscuit avec autant de plaisir que si j’avais mangé de la tortue ou du gibier à la table d’un lord maire.