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tive. J’attendis quelque temps, car le fluide du tonneau ne s’agitait que par intervalles et seulement quand le navire faisait ses plus fortes embardées. À la fin, ma patience fut récompensée ; je perçus très distinctement le clapotement que j’avais déjà entendu. Ainsi donc, plus de doute, il y avait de l’eau dans la futaille !

Je ne pus retenir un crû de joie. J’éprouvais les sentiments d’un homme qui, après être resté longtemps en danger de se noyer, finit par se sauver en atterrissant.

La réaction fut si vive que je retombai en chancelant sur la varangue, puis m’affaissai dans un étal d’insensibilité presque complète.

Je ne tardai pas à en sortir. Les tortures de la soif me poussant à agir, je me relevai et m’appuyai contre le tonneau.

Dans quel but ? Celui de trouver la bonde, de la retirer et de soulager ma soif en buvant un bon coup. Pouvais-je en avoir d’autre ?

Hélas ! hélas ! ma joie s’envola presque aussi vite qu’elle était venue. Je dis presque, car il me fallut un certain temps pour passer la main sur les contours de l’immense futaille ; mais j’eus beau explorer chaque douve avec tout le soin qu’y mettent les aveugles et recommencer plusieurs fois la même opération, il fallut bien me rendre à l’évidence : la bonde n’était pas de mon côté ; elle se trouvait soit du côté opposé, soit au sommet. En tout cas je ne pouvais l’atteindre, ni par conséquent en tirer parti. Je savais que chaque tonneau possède, outre la bonde, un trou de coulée situé à l’un des deux fonds. Je me mis à le chercher ; mais je m’aperçus tout de suite que les deux extrémités de ma futaille étaient presque complètement obstruées, l’une par la grande caisse et l’autre par le tonneau voisin dont je vous ai déjà parlé. Il me vint alors à l’idée que ce dernier pouvait aussi contenir de l’eau ; je l’examinai à son tour, mais je ne pus tâter qu’une très petite partie de son extrémité, dont la surface lisse et dure opposait à ma main la résistance du roc.

Découragé par ces tentatives infructueuses, je recommençai à gémir sur mon sort et à me désespérer. Mes tortures étaient maintenant plus cruelles que jamais, car j’entendais par intervalles le clapotement de l’eau à deux pouces de mes lèvres, sans pouvoir en obtenir une seule goutte pour humecter ma gorge desséchée et brûlante !

Si j’avais eu une hache et assez de place pour m’en servir, comme j’aurais défoncé cette immense citerne pour m’abreuver à longs traits de son contenu ! Hélas ! sans le secours d’aucun instrument, les épaisses douves de chêne étaient aussi impénétrables pour moi que si elles eussent été de fer. Quand même j’aurais réussi à trouver la bonde ou le fausset, comment les aurais-je retirés ? Pas avec les doigts sans doute. Dans mon premier élan de joie, je n’avais pas songé à celte difficulté.

Je crois que je m’assis alors, puis me relevai peu après pour faire un nouvel examen du tonneau. Je n’en suis pourtant pas sûr ; cette nouvelle déception m’avait complètement hébété, et je ne puis me rappeler exactement ce qui suivit. Il me semble cependant que j’essayai machinalement de déplacer la grande caisse, sans plus de succès qu’auparavant, bien entendu. Après cela, je restai longtemps couché, en proie au plus sombre désespoir, d’où je fus enfin tiré par une circonstance qui vint fort à propos raviver mes espérances.