Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/631

Cette page n’a pas encore été corrigée

Je continuais à pousser des cris perçants de temps à autre ; enfin, ne recevant aucune réponse, je perdis tout espoir d’être entendu et je gardai le silence.

Je retombai ensuite dans un état de stupeur qui paralysait mon esprit, sans émousser heureusement ma sensibilité, je souffrais horriblement, surtout de la soif, qui est peut-être la plus grande des souffrances physiques, Je n’aurais jamais cru que le manque d’un peu d’eau pût causer des tortures si cruelles. Quand je lisais des ouvrages de naufragés ou de voyageurs traversant le désert qui étaient morts de soif, je considérais ces récits comme en tachés d’exagération.

Comme tous les enfants anglais, nés dans un pays humide où l’on trouve à chaque pas des sources et des ruisseaux, je ne pouvais guère savoir ce que c’est que la soif. Peut-être, en jouant dans les champs ou sur la côte, avais-je éprouvé cette sensation désagréable dans la gorge qui fait désirer un verre d’eau ; mais ce malaise est presque neutralisé par le plaisir infini que nous nous promettons en nous rafraîchissant, et que nous pouvons toujours goûter dans un temps très court. Nous en sommes même si peu incommodés que nous nous gardons bien en général de boire l’eau d’un fossé ou d’un étang, et nous attendons de rencontrer un puits bien frais ou une source bien limpide.

Ce malaise n’est pas la soif, ce n’en est que le premier degré ; c’est un besoin presque agréable par la confiance que nous avons de pouvoir le satisfaire. Mais supposez-vous transportés à une énorme distance d’une source, d’un étang, d’un fossé, d’un lac, d’une rivière, sans eau ni liquide d’aucune sorte pour étancher une soif naissante ; alors elle prendra un nouveau caractère et deviendra bien autrement cruelle que dans les circonstances ordinaires.

Je suis bien sûr qu’auparavant j’étais souvent resté des jours entiers sans songer à l’eau, précisément parce que je pouvais m’en procurer sur l’heure et à discrétion ; mais maintenant, je n’en avais pas et je ne conservais aucun espoir d’en obtenir ; aussi, pour la première fois de ma vie, la soif me causait-elle de cruelles angoisses.

Je n’avais pas grand’faim. Mes provisions n’étaient pas toutes épuisées. Il me restait encore un peu de fromage et plusieurs morceaux de biscuit. Je me gardai bien d’y toucher dans la crainte d’augmenter ma soif. C’est ce qui s’était déjà produit la dernière fois que j’avais mangé. Mon gosier desséché ne demandait que de l’eau ; à ce moment, l’eau me semblait la chose du monde la plus désirable.

Si je me sentais condamné à mourir de soif, j’ignorais combien de temps durerait mon agonie. J’avais lu des histoires de voyageurs qui avaient résisté plusieurs jours. J’essayai de me rappeler combien au juste, mais je n’y pus réussir. Je m’imaginai que c’était six ou sept jours, quelle épouvantable perspective ! Comment pourrais-je supporter si longtemps de pareilles souffrances ? Comment pourrais-je même les endurer un seul jour ? J’espérai que la mort viendrait plus tôt me délivrer d’une semblable torture. Mais, presque à l’instant où j’appelais la mort de mes vœux, j’entendis un son qui changea sur-le-champ le cours de mes pensées et me fit oublier l’horreur de ma situation. Son délicieux ! c’était comme le chuchotement d’un ange de miséricorde !

J’étais appuyé à l’une des varangues du navire qui traversait ma petite chambre et la divisait en deux parties presque égales. J’avais pris cette attitude uniquement pour changer de position, car, depuis mon entrée dans ma prison, j’avais essayé toutes les positions imaginables afin de me défatiguer.

Je me tenais actuellement debout, pas tout à fait droit cependant, la hauteur de ma chambre étant inférieure à ma taille. Mon épaule reposait sur la varangue, et ma tête, inclinée en avant, était presque en contact avec le grand tonneau sur lequel j’appuyais la main.

Naturellement mon oreille touchait presque les douves de chêne, et c’est à travers celles-ci que je perçus le son qui produisit en moi une réaction si subite et si favorable. Il était bien facile à reconnaître : c’était le bruissement d’un liquide agité par le tangage du navire et par une légère oscillation du tonneau lui-même, qui n’avait pas été convenablement calé.

Toutefois, je ne m’abandonnai point à la joie avant de m’être assuré d’une manière très exacte de la nature du bruit que je venais d’entendre.

La joue appliquée sur les douves et retenant mon haleine, je prêtai une oreille atten-