Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/630

Cette page n’a pas encore été corrigée

que immédiatement après m’être introduit dans la cale. À ce moment-là, si vous vous en souvenez, il faisait encore jour, et, bientôt après mon entrée, les matelots s’étaient remis à l’ouvrage, quoique je ne les entendisse pas, tant je dormais profondément. C’est alors que la grande caisse, avec bien d’autres sans doute, était venue obstruer l’ouverture qui m’avait livré passage.

Tout d’abord, je ne me rendis pas bien compte de l’horreur de ma situation. Je me sentais, il est vrai, tout à fait incapable de sortir de ma prison ; mais les vigoureux marins qui avaient arrimé les caisses pouvaient aussi bien les déplacer ; il me suffisait donc d’appeler au secours. Hélas, hélas ! je ne pensais guère que mes cris ne pouvaient atteindre une oreille humaine ; j’ignorais que l’écoutille par laquelle j’étais descendu dans la cale était fermée par d’épais panneaux recouverts d’un prélart, et qu’on ne l’ouvrirait plus probablement avant le terme du voyage. Et, quand même l’écoutille n’aurait pas été fermée, il y avait bien peu de chances pour qu’on m’entendit ; ma voix eût été interceptée par l’épaisseur de la cargaison ou couverte par le mugissement des vagues, qui fouettaient incessamment les flancs du navire.

Comme je vous le disais, mes appréhensions furent d’abord légères. Je crus seulement qu’il me faudrait attendre quelque temps encore l’eau, après laquelle j’aspirais si ardemment, car les hommes ne pouvaient arriver jusqu’à moi qu’en déplaçant un certain nombre de caisses et de ballots, ce qui exigerait plusieurs heures de travail.

Ce n’est qu’après avoir poussé les cris les plus aigus, frappé sur les planches à coups redoublés avec les talons de mes souliers, et répété mes cris et mes coups jusqu’à épuisement complet de mes forces, que je compris enfin toute l’horreur de ma situation. Incapable de sortir de l’étroit cachot dans lequel j’étais confiné, sans espoir d’être secouru, je me voyais enseveli vivant !

J’appelai, je criai, je hurlai de nouveau, écoutant par intervalles. Les échos de ma propre voix se répercutaient sur les parois de la sombre cale, mais aucune voix étrangère ne répondait à mes accents douloureux.

« Oh ! m’écriai-je dans mon désespoir, ils ne peuvent m’entendre ! ils ne m’entendront jamais ! personne ne viendra à mon secours ! C’en est fait de moi, je dois mourir ! »

Telle était ma conviction ; le mal de mer, qui s’était un instant calmé, revint bientôt ajouter ses souffrances à ma misère morale et me plonger dans une agonie indescriptible. J’étais à bout ; toute mon énergie m’abandonna, et je tombai comme frappé de paralysie.

Je croyais que j’allais mourir ; je ne mourus point cependant. Les hommes ne meurent ni de désespoir ni du mal de mer, et les enfants non plus. La vie est plus dure qu’on ne croit.

Toutefois je restai de longues heures insensible et dans un état de stupeur complète. À la fin pourtant, je commençai à reprendre mes sens et une partie de mon énergie. Chose étrange ! je sentis également mon appétit renaître. Le mal de mer a cela de vraiment singulier : ceux qui en souffrent mangent souvent de meilleur cœur que d’habitude. Toutefois la soif me torturait bien davantage, et si j’avais encore quelques morceaux de biscuit dans la poche pour atténuer ma faim, je n’entrevoyais aucune espérance de me désaltérer.

Je n’ai pas besoin de vous raconter toutes les réflexions terribles qui me traversaient l’esprit. Je restai de longues heures en proie à une agitation extrême et au plus violent désespoir ; puis, épuisé par les souffrances physiques et les tortures morales, je tombai insensiblement dans un état d’engourdissement général. Je sentis mes idées devenir de plus en plus confuses, et je m’endormis.

Ce ne fut pas pour longtemps ; mon sommeil fut troublé par d’affreux rêves, pas plus affreux cependant que la réalité. Je fus quelque temps avant de me rappeler ou j’étais ; mais, en étendant les bras, la mémoire me revint.

Comprenant de nouveau à quelle affreuse extrémité j’étais réduit, je me mis à pousser de grands cris. Je n’avais pas encore perdu tout espoir de me faire entendre des matelots ; comme je vous l’ai déjà dit, j’ignorais la quantité de marchandises entassées au-dessus de moi, et je ne pensais pas que les panneaux d’écoutille fussent en place.

Il est heureux que je n’aie pas su toute la vérité, car j’aurais certainement perdu la tête, tandis que les lueurs d’espérance qui, par intervalles, alternaient avec mes accès de désespoir, me soutinrent jusqu’au moment où je fus capable d’envisager de sang-froid la terrible réalité.