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CHAPITRE XI
UNE LETTRE

Juliette et Nettie s’étaient, réfugiées, en rentrant au fort, dans la chambre qu’elles occupaient ensemble à l’étage supérieur de la maison du commandant. L’une pleurait abondamment, l’autre avait les yeux secs, mais elle était d’une pâleur mortelle.

« Oh ! ma chère Nettie, sanglotait Juliette, je ne puis pas croire que ce soit vrai ! Non, c’est impossible !… Pauvre Frank Armstrong ! Si gai, si bon et qui m’aimait tant ! Penser que je ne le verrai plus !… Le pauvre Cornélius a bien de la peine lui aussi ! Il était son ami. Pour rien au monde il ne l’aurait trahi !

— Ce qui n’empêche pas qu’il l’a parfaitement laissé prendre et tuer, et qu’il est revenu sain et sauf faire l’aimable auprès de vous…

— Comment aurait-il pu faire autrement ? reprit Juliette éclatant de plus belle en sanglots. Je sais bien que M. Armstrong avait de l’affection pour moi… Mais Cornélius en a, lui aussi, et je… je ne sais pas pourquoi vous parlez si durement de notre cousin ! Après tout, ce n’est pas sa faute s’il n’a pas été tué ! »

Et miss Brinton se balançait sur sa chaise, en cachant sa figure dans son mouchoir.

Nettie se redressa. Un éclair passa dans ses yeux.

« En somme, dit-elle, M. Armstrong étant mort, vous comptez vous marier avec Cornélius Van Dyck ?

— Comment pouvez-vous parler de la sorte, Nettie ? Oubliez-vous que le pauvre Frank n’est pas même enterré ?… Vous n’êtes qu’une enfant, vous ne pouvez pas savoir ce que sont ces douleurs-là, — ou vous me montreriez plus de cœur !

— C’est vrai… Je ne suis qu’une enfant… Je ne sais pas ce que sont ces douleurs-là !… Vous avez raison, Juliette. Mais moi aussi, pourtant, j’étais l’amie de M. Armstrong, et je ne puis pas oublier qu’un jour il m’a donné, — la seule chose que j’aie jamais reçue de lui… »

Nettie articula ces derniers mots à demi-voix, comme en se parlant à elle-même. Puis elle resta les yeux fixes, grands ouverts, perdue dans sa méditation.

Sa cousine aussi se taisait, mais sans cesser de se bercer sur sa chaise et de sangloter.

« Ce qui m’indigne, reprit Nettie, c’est de vous voir déjà prête à perdre tout souvenir du valeureux lion, pour vous attacher à ce gros daim timide !… Tenez, Juliette, promettez-moi de ne pas épouser Cornélius, — tout au moins tant que la mort du pauvre Frank ne sera pas absolument certaine ! Attendez, — ne fût-ce qu’un an, — ne fût-ce que six mois, — faites cela pour sa mémoire.

— Oui, pour qu’on dise que je porte son deuil, n’est-ce pas ? répliqua Juliette sans plus songer à son mouchoir. Ma chère Nettie, ce n’est pas possible. Si mon père commande, il faudra bien que j’obéisse, malgré toute ma douleur… »

La douce petite figure de Nettie devint encore plus pâle.

« Eh bien ! dit-elle, il faut que je vous révèle un grand secret. Quand M. Armstrong est parti, il a laissé ici une lettre pour moi. Voulez-vous savoir ce qu’il me dit ? »

Miss Brinton tressaillit, et ses joues se couvrirent de rougeur.

« Une lettre !… Une lettre de Frank ! À vous ! s’écria-t-elle. Comment a-t-il osé ?…

— Oh ! ne soyez pas jalouse, protesta Nettie avec un pâle sourire. Dieu sait qu’il vous était plus attaché que vous ne le serez jamais