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CHAPITRE V
POUR LE PÉROU DEMAIN


Quoique j’eusse vu la mort de bien près, je n’étais pas plus effrayé de l’eau qu’auparavant ; je l’aimais au contraire davantage, précisément à cause de l’excitation que produit le danger.

Bientôt je commençai à ressentir un désir ardent de traverser l’Océan et de visiter les pays lointains.

Peut-être mes aspirations eussent-elles été moins vives si j’avais connu le bonheur du foyer, si j’avais possédé un père et une mère chéris ; mais mon vieil oncle, toujours maussade, ne me portait aucun intérêt, et dès lors nulle affection ne me rattachait au logis. De plus, j’avais à travailler beaucoup dans la ferme, et c’était un genre de vie pour lequel je n’éprouvais aucun penchant. Combien je désirais contempler de mes propres yeux ces pays enchantés dont j’avais lu la description dans mes livres, et que les marins qui revenaient de temps à autre au village m’avaient dépeints sous des couleurs encore plus merveilleuses !

À environ cinq milles de notre petit village, au bas de la baie, se trouvait une grande ville. C’était un véritable port de mer, fréquenté par de grands navires, qui voyageaient dans toutes les parties du monde et transportaient d’immenses cargaisons. Un jour, j’y fus envoyé par mon oncle avec un domestique qui conduisait une charrette pleine des produits de la ferme pour les vendre ; je devais tenir la bride pendant que mon compagnon procéderait au trafic. Or, il arriva que la charrette fut conduite sur l’un des quais, de sorte que j’eus une excellente occasion d’examiner les gros vaisseaux qui s’y trouvaient amarrés et d’admirer leurs mâts élancés et l’élégance de leur gréement.

Il y en avait un juste en face de moi qui excita mon admiration d’une façon toute particulière ; il était plus grand que tous ses voisins, et ses mâts, gracieusement terminés en pointe, dominaient de plusieurs pieds tous ceux du port. Toutefois ce n’était ni sa grandeur ni la beauté de ses formes qui attirait le plus mon attention. Ce qui le rendait si intéressant à mes yeux, c’est qu’il était sur le point de mettre à la voile, ainsi que je l’appris en lisant sur une planche attachée dans l’endroit le plus en vue l’inscription suivante :

L’INCA
POUR LE PÉROU
DEMAIN

Mon cœur commença à battre bruyamment dans ma poitrine, comme si j’eusse été menacé de quelque terrible danger ; mais c’était seulement le contre-coup des pensées étranges qui me traversèrent l’esprit quand je lus cette annonce aussi émouvante que brève :

POUR LE PÉROU
DEMAIN

Et ces pensées, rapides comme l’éclair, procédaient toutes de la question que je me posais à moi-même : « Si j’allais au Pérou ? Et pourquoi non ? »

Il y avait à surmonter bien des obstacles, je ne le savais que trop. D’abord, le domestique de mon oncle, qui se tenait près de moi, devait me ramener à la maison, et il eût été absurde de lui demander la permission de partir. En second lieu, il me fallait obtenir le consentement des gens du bord. Je