Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/613

Cette page n’a pas encore été corrigée

pleine ! et, quoique je me sentisse presque anéanti, je me cramponnai au poteau avec la ténacité du désespoir. Longtemps je tins bon, et j’aurais pu tenir jusqu’au matin, sans un événement qui vint encore aggraver ma situation.

La nuit était venue, amenant avec elle une brise violente ; des nuages menaçants, que j’avais vus à l’horizon à l’heure du crépuscule, se résolvaient en torrents de pluie ; les vagues se soulevaient avec fureur, et leur choc devint si violent, qu’à deux ou trois reprises je faillis être emporté.

Ma frayeur était à son comble, car je voyais bien que, si la mer devenait plus grosse, je n’aurais plus la force de tenir contre les lames.

La dernière vague avait été si forte qu’elle m’avait fait perdre pied. Il s’agissait de retrouver mon point d’appui ; pour cela je me soulevai un peu à l’aide de mes bras, et je cherchais du bout du pied à me replacer, quand une vague énorme, me frappant avec furie, emporta mes deux jambes loin du poteau. Je tins cependant bon avec les mains, et, pendant un moment, je flottai dans une position presque horizontale. La vague passée, j’essayai encore de reprendre position sur le cairn ; mais je l’effleurais à peine que je le sentis s’écrouler sous moi !

Incapable désormais de me soutenir, je glissai le long du poteau et tombai au fond de la mer, sur les ruines éparses de ma construction.

Heureusement pour moi, j’avais appris à nager, j’y étais même assez habile. C’était sans contredit le plus utile talent que je pusse posséder en pareille occurrence ; sans lui, je périssais à l’instant. Si je n’avais eu aussi l’habitude de plonger, il est probable que ce plongeon inattendu m’aurait fait perdre la tête.

Il n’en fut rien. Remontant aussitôt à la surface comme un canard, je regardai autour de moi. Je cherchais mon poteau, ce qui n’était point facile, car l’embrun de la mer m’aveuglait. Je tournai deux ou trois fois sur moi-même, comme un chien qui cherche quelque chose dans l’eau ; je ne savais plus dans quelle direction il pouvait être ; j’étais complètement désorienté.

Je l’aperçus enfin, non pas à portée, comme vous pourriez le croire, mais bien à vingt mètres de distance. Le vent et la marée m’avaient fait dériver, et, si je n’y avais pas pris garde, ils m’auraient entraîné en quelques minutes à une distance telle du signal qu’il m’eût été impossible d’y revenir.

Je nageai droit au poteau, non que je visse clairement ce que j’allais y faire, mais poussé par une sorte d’instinct naturel. J’agissais comme le noyé qui s’accroche à un brin de paille. Si je vous disais que j’étais de sang-froid, vous ne le croiriez pas. J’étais, au contraire, très effrayé, non pourtant que je ne craignisse de ne pouvoir atteindre le poteau — j’avais pour cela assez de confiance dans mes capacités de nageur — mais je me demandais avec angoisse quelle garantie de salut il pouvait désormais m’offrir.

Je savais par expérience qu’il m’était impossible de me hisser sur le sommet du tonneau ; c’était une de ces difficultés que même la crainte de la mort ne pouvait me faire surmonter. Si je l’avais pu, j’y serais parvenu depuis longtemps. Une fois assis là, j’aurais pu en toute sécurité tenir tête à l’orage. Bien plus, si j’avais réussi à grimper sur le tonneau avant la tombée de la nuit, quelqu’un m’aurait peut-être aperçu du rivage, et je serais à cette heure à l’abri du danger.

Je n’eus donc pas même l’idée de tenter l’escalade ; la seule chose qui me préoccupât était de savoir par quels moyens je réussirais à me maintenir auprès du poteau sans lâcher prise.

Je l’atteignis enfin, mais non sans efforts, car j’avais à lutter contre le vent, la marée et la pluie. Je l’atteignis et le pressai dans mes bras comme mon sauveur… Qu’était-il autre, en effet ? Sans lui j’aurais tout aussi bien fait de rester au fond de la mer.

Aussi longtemps que je m’appuyai avec les mains sur le poteau, je n’avais pas grande difficulté à me tenir à flot. Par un temps calme j’aurais peut-être pu garder cette position jusqu’à marée basse, quoiqu’elle fût très incommode ; mais la mer était houleuse, ce qui changeait complètement la situation. Il y avait bien eu une accalmie au moment où je regagnai le poteau ; cette heureuse circonstance m’avait permis de reprendre haleine ; mais, après ce trop court répit, le vent était redevenu plus violent et les vagues plus furieuses que jamais. Tantôt elles me soulevaient jusque auprès du tonneau, puis elles me laissaient retomber tout à coup d’une hauteur énorme en se dérobant sous moi ;