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mêmes, commandant, si nous n’avions pas surpris cette bande de Sioux, nous aurions très vraisemblablement été enveloppés…

— Enveloppés ? Combien étaient-ils donc ces Peaux-Rouges ?

— Trois grands teepees, mon colonel, avec un troupeau d’au moins cinquante poneys… Naturellement, après cet engagement, nous nous sommes empressés de reprendre le chemin du fort…

— Cela se voit de reste, répliqua le colonel. Mais comment avez-vous pu autoriser M. Armstrong à quitter le détachement pour courir ainsi au-devant de dangers inutiles ?

— Vous pensez bien, commandant, que ce n’a pas été sans répugnance. Mais il insistait vivement, il avait trois guides avec lui ; jusqu’à ce moment nous n’avions pas aperçu un seul Peau-Rouge. Il ne voulait pas revenir sans nouvelles… D’autre part, mes instructions étaient des plus strictes. Il avait promis de nous rejoindre à l’estacade à temps pour rentrer au fort avec nous… En agissant comme il l’a fait, — mon Dieu, commandant, je ne voudrais pas avoir l’air d’accuser le pauvre garçon, — mais le fait est qu’il a dépassé mes ordres… Il lui en a coûté assez cher, car j’ai bien peur que nous ne le revoyions jamais !

— Fort bien, monsieur, répliqua de plus en plus froidement le commandant. Nous recauserons de tout cela. »

En disant ces mots, il tourna bride, éperonna son cheval et revint au camp.

Tout le monde y était dans l’attente, allant et venant, s’interrogeant et ne sachant que faire. La fausse nouvelle de l’approche d’une troupe d’indiens, apportée par Juliette Brinton et le lieutenant Peyton, avait commencé par mettre toutes les têtes en émoi ; puis était venu le démenti et la certitude du retour de Van Dyck ; on avait su qu’un officier et un éclaireur manquaient au détachement, et, comme il arrive, toutes sortes de versions étaient aussitôt entrées en circulation à ce sujet. Dans un camp, les rumeurs vagues ont bientôt pris corps et circulé de tous côtés. Les soldats, si respectueux et muets en présence de leurs supérieurs, n’ont pas leurs pareils pour tirer parti du moindre mot qu’ils entendent. Aussi, bien avant le retour du commandant, était-il généralement admis que Van Dyck avait eu à livrer aux Indiens un terrible combat, et qu’il avait perdu la moitié de ses hommes ainsi que le sous-lieutenant Armstrong.

La plupart des invités civils, prenant ces contes à la lettre, commençaient à regretter intérieurement d’avoir quitté les pays civilisés, et se sentaient fort tentés de renoncer à toutes leurs chances de voir un troupeau de buffles, pour supprimer du même coup celles qu’ils pouvaient avoir de rencontrer une bande de Peaux-Rouges.

On peut juger de l’impression que produisit sur ces natures prudentes la vue du colonel Saint-Aure rentrant au camp à bride abattue, suivi d’une escorte qui naturellement allait du même pas. Il y eut une espèce de panique, et, de tous côtés, ce ne furent plus que gens en quête de leur cheval ou de leur mulet.

Mistress Saint-Aure, étonnée de ce bruit, était sortie assez inquiète sur le pas de sa tente.

« Ce n’est rien, Elsie, lui dit son mari en arrêtant court son cheval. Il n’y a pas le moindre danger, — seulement un contretemps, — nous sommes obligés de renoncer à notre partie de chasse. J’ai reçu les nouvelles que j’attendais, et il il faut rentrer au fort… Clairon, sonnez le boute-selle à l’instant ! » ajouta-t-il en se tournant vers un de ses hommes..

Le colonel avait donné cet ordre à haute voix, pour que tout le monde pût l’entendre, et, avant que le clairon eut eu le temps de l’exécuter, les chevaux étaient déjà détachés de leurs piquets. Les invités, silencieux et inquiets, se hâtaient de seller leurs montures, comme si leur vie eût dépendu de cette opération, tandis que les soldats, plus habitués à ces alertes, restaient assis autour des feux, fumant tranquillement leur pipe et ne bougeant pas jusqu’à ce qu’enfin le signal se fît entendre.

« J’espère, mon cher commandant, qu’il n’y a rien de grave ? demandait anxieusement le juge Brinton tout rouge et essoufflé.

— Absolument rien. Seulement, une reconnaissance que j’avais envoyée sur les territoires indiens, vient de revenir avec les nouvelles que j’attendais, et ces nouvelles sont à la guerre. Il va être nécessaire de nous mettre en campagne. Je suis donc obligé de contremander notre partie de chasse et de rentrer au fort. Voilà tout. Je regrette vivement, mon cher juge, que vous et tous nos amis vous