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Je m’attendais bien, il est vrai, à souffrir de la faim et du froid et à être mouillé jusqu’aux os ; je savais aussi qu’à marée haute l’îlot serait couvert et qu’il me faudrait passer la nuit dans l’eau ; mais à quelle profondeur ? Serait-ce jusqu’aux genoux ?

Je cherchai autour de moi un moyen de me renseigner à ce sujet. J’avais souvent observé du rivage que le récif disparaissait entièrement ; mais j’avais toujours cru, comme les gens du village, que la mer ne s’élevait qu’à quelques pouces au-dessus de la surface.

Je ne trouvai d’abord aucun indice. À la fin, mes yeux tombèrent sur le poteau que j’examinai dans toute sa longueur ; j’y vis à n’en pas douter une ligne d’eau peinte en blanc ; mais, jugez de ma surprise et de ma terreur quand je constatai que cette ligne s’élevait au moins à six pieds au-dessus de la base du poteau !

Je courus comme un fou vers le poteau, je me plaçai tout près et levai les yeux. Hélas ! ma première impression ne m’avait pas trompé ; la ligne d’eau était si élevée au-dessus de ma tête que je pouvais à peine l’atteindre du bout du doigt.

À cette découverte, un frémissement d’horreur parcourut mes veines. Le danger n’était que trop imminent. Avant qu’on pût me porter secours, la marée serait haute, je serais balayé par les vagues et englouti.


CHAPITRE IV
JE GRIMPE AU POTEAU


J’étais en grand péril, que dis-je ? voué à une mort certaine. Je n’avais aucun espoir d’être secouru ce jour-là ; la mer serait haute dans quelques heures, et c’en serait fait de moi ! Dût-on se mettre à ma recherche avant la nuit, ce qui n’était pas du tout probable, qu’on arriverait trop tard.

Longtemps je fus paralysé par la frayeur et le désespoir. Je ne pouvais plus fixer mes idées ; je ne voyais plus ce qui se passait autour de moi. Tournant machinalement la tête à droite et à gauche, je jetais sur la mer des regards éplorés ; aucune voile n’apparaissait à l’horizon, et rien ne venait rompre la monotonie de ce tableau terrible.

Bientôt un rayon d’espérance vint me réveiller de ma stupeur. Mes yeux venaient de s’arrêter sur le poteau qui m’avait tout à l’heure causé tant d’effroi, et l’idée me vint tout à coup qu’il pouvait être l’instrument de mon salut.

Je n’ai pas besoin de dire que je me proposais de grimper au sommet et d’y rester jusqu’à ce que la mer se fût retirée. La partie supérieure, je le savais, émergeait toujours, même à marée haute ; j’y serais alors parfaitement en sûreté. Je grimpais bien à un arbre ; je saurais aussi bien grimper au poteau ; c’était la moindre des choses. J’aurais sans doute à passer sur le tonneau une nuit des plus pénibles, mais j’y serais hors de danger et je vivrais pour rire de mon aventure.

L’espérance ranimant mon courage, je m’approchai du poteau pour y grimper, non que je voulusse m’y établir déjà ; il serait bien assez temps quand je commencerais à perdre pied ; mais je voulais être sûr de pouvoir gagner mon tonneau quand l’heure du danger arriverait. Je trouvai l’opération beaucoup plus difficile que je ne l’avais supposé, surtout dans le bas. Le poteau était revêtu, jusqu’à une hauteur de six pieds environ, de la substance visqueuse qui couvrait les rochers d’alentour, ce qui le rendait aussi glissant que les mâts de cocagne de nos fêtes de village.