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chai pas plus vite. Je ne craignais pas que les coquilles se sauvassent dans la mer, sachant bien que leurs habitants les avaient depuis longtemps désertées. Je cheminai donc lentement et en poursuivant mes recherches, mais je ne trouvai rien à mon goût avant d’atteindre la péninsule. J’y étais à peine qu’un objet magnifique se présenta à mes yeux ; il était d’un rouge foncé et rond comme une orange, mais plus gros. Qu’ai-je besoin d’ailleurs de vous le décrire ? Chacun de vous a pu voir et admirer un oursin.

« Je ramassai prestement la coquille, et j’examinai avec curiosité ses charmants contours et les saillies, singulières répandues à sa surface. C’était une des plus belles que j’eusse jamais vues, et je me félicitai du joli souvenir que j’allais emporter de mon excursion. Après l’avoir tourné et retourné en tout sens, j’en examinai l’intérieur ; j’y vis une cavité blanche et lisse qui avait servi jadis à la demeure de l’oursin. Lorsque j’eus consacré plusieurs minutes à cet examen, je revins sur mes pas pour regagner mon bateau. Mais que vis-je alors, juste ciel ! Oursin et coquilles m’échappèrent des mains, et je faillis moi-même tomber à la renverse, tant fut grande ma stupéfaction. Mon bateau, mon bateau, où était mon bateau ?

Hélas ! il était parti. Quand je tournai les yeux vers la crique, elle était vide et je vis mon canot s’en allant à la dérive. À cela rien d’étonnant ; j’avais négligé de l’amarrer et même de porter la haussière à terre, et la brise, en fraîchissant, l’avait chassé hors de la crique, puis au large.

Mon premier sentiment fut de la surprise qui dégénéra bientôt en une vive alarme. Comment rattraper mon youyou ? Et si je ne réussissais pas à le reprendre, comment retourner au rivage ? J’en étais au moins à trois milles ; je ne pouvais songer à les parcourir à la nage, ni espérer que quelqu’un vînt à mon secours, car il était peu probable qu’on prit me voir de la côte et soupçonner ma position. La réflexion augmentait mes angoisses ; plus j’examinais ma situation, mieux j’appréciais le danger où ma négligence m’avait jeté. Qu’allais-je faire ? Je ne vis d’abord d’autre alternative que de rester sur le récif ; mais si pourtant je pouvais rattraper mon youyou à la nage… il n’était pas encore assez loin pour que je ne pusse y parvenir, à cent mètres environ. Je me décidai sur-le-champ, et, de fait, je n’avais pas une minute à perdre, car il s’éloignait à vue d’œil. En un instant j’eus retiré tous mes vêtements, mes bas et même ma chemise, qui auraient pu me gêner, et je me jetai à l’eau. Comme je ne trouvai pas pied, je dus me mettre à la nage, et je me dirigeai vers le youyou avec toute la vigueur dont dont j’étais capable. Malheureusement je ne voyais guère diminuer la distance qui m’en séparait, et la pensée que je ne réussirais pas à le gagner de vitesse me remplissait de tristesse et d’effroi. S’il devait en être ainsi, il ne me resterait plus, en effet, qu’à retourner au récif ou à couler au fond de la mer.

Je perdais courage et je pensais à retourner à l’îlot avant d’avoir épuisé mes forces, lorsque, le vent ayant changé, je vis le canot virer légèrement de bord et prendre une direction oblique qui le ramenait de mon côté. Je résolus alors de faire un nouvel effort pour l’atteindre ; j’y réussis à la fin, et, au bout de quelques minutes, j’eus la satisfaction de poser la main sur le plat-bord, ce qui me permit de reprendre haleine.

Après m’être un peu reposé, j’essayai de me hisser dans le youyou ; mais le frêle esquif chavira sous mon poids comme une cuve à lessive et m’entraîna sous l’eau. Revenu à la surface, je saisis de nouveau le canot et m’efforçai de me mettre à cheval sur la quille. Je n’y réussis pas davantage. Toutefois, il se retourna sous mon effort et reprit sa position naturelle. Je ne pouvais, certes, rien désirer de mieux ; mais je m’aperçus avec terreur qu’il était presque rempli d’eau qu’il avait embarquée en se retournant. Le poids de l’eau augmentant sa stabilité, je pus cette fois enjamber le plat-bord et pénétrer sain et sauf à l’intérieur ; mais je n’y étais pas depuis une seconde, que je sentis que le canot, surchargé par mon poids, s’enfonçait sous moi. Si j’avais conservé assez de présence d’esprit pour en sortir, il aurait probablement continué à flotter, mais la crainte d’une part, et, de l’autre, la confusion d’esprit qui résultait de mes nombreux plongeons, me firent perdre la tête. Je restai debout dans le youyou, ayant de l’eau jusqu’aux genoux. Je pensai bien à le vider, mais je ne pus pas trouver d’écope ; la casserole qui en tenait lieu avait coulé sans douté au moment où le canot chavirait, et les avirons flottaient à une grande distance. Dans mon désespoir, je commençai à écoper de