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C’étaient des mouettes ; mais il y en avait de plusieurs espèces, des petites et des grandes, auxquelles se joignaient parfois des grèbes et des hirondelles de mer. Du rivage, il était naturellement difficile de reconnaître l’espèce de ces oiseaux dont la taille, à cette distance, ne semblait pas dépasser celle d’un moineau ; si bien que, s’ils avaient été isolés, personne n’eût certainement remarqué leur présence.

Dès mon âge le plus tendre, je me suis senti un penchant pour l’histoire naturelle et surtout pour la gent ailée ; il peut exister des sciences plus utiles à l’homme, mais il n’en est point de plus propre à séduire l’imagination et à épurer le goût de la jeunesse.

Que ce fût pour observer de près les mouettes ou pour visiter l’île, toujours est-il que je souhaitais vivement m’y transporter, et ce désir croissait encore chaque fois que je tournais les yeux dans cette direction. Je connaissais si bien la forme de l’îlot à mer basse, que j’aurais pu en faire le dessin de mémoire. Émergeant à peine de l’eau à son pourtour, il s’élevait graduellement de manière à présenter au milieu une éminence curviligne ; on aurait dit une immense baleine, et la perche placée au point culminant avait l’air d’un harpon enfoncé dans son échine.

Je voulais aussi toucher la perche, voir de quoi elle était faite et constater ses dimensions, car, de la côte, elle ne semblait pas avoir plus d’un mètre de hauteur. Je me demandais aussi ce que pouvait bien être l’espèce de boule qui en couronnait le sommet et comment elle était fixée au sol. Fallait-il qu’elle fût solide ! car je l’avais vue dans les plus grandes tempêtes résister à la violence des flots déchaînés.

Que de fois j’avais soupiré après l’occasion de visiter ce lieu enchanteur ; mais elle ne s’était encore jamais présentée. C’était trop loin et trop dangereux pour moi d’y aller seul dans le youyou, et personne ne m’avait offert de m’y accompagner. Harry Blew, il est vrai, m’avait promis de m’y conduire, tout en se moquant de l’idée que j’avais de vouloir visiter un pareil endroit. Quel intérêt pouvait-il y prendre ? Il était souvent passé près de l’île dans ses excursions nautiques ; il y était descendu sans doute. Peut-être même avait-il amarré son canot à la perche afin de tirer sur les oiseaux de mer ou de pêcher aux environs ; mais je n’avais jamais eu la bonne fortune d’être de la partie, et je ne pouvais plus compter sur lui désormais, car, le dimanche, seul jour de sortie pour moi, il était encore plus occupé que pendant la semaine.

J’avais longtemps attendu en vain ; mais j’étais bien résolu maintenant à ne plus attendre, et, le matin même, j’avais pris la détermination inébranlable de partir avec le youyou et d’aller visiter le récif tout seul. Ce fut pour exécuter cette grande entreprise que je le démarrai et le fis glisser de toute la puissance de mes rames à la surface de la mer.

Quoique fort simple, l’entreprise était hasardeuse pour un enfant de mon âge. J’avais â parcourir trois milles sur le grand abîme, entre le ciel et l’eau ; Je n’avais jamais été moitié si loin, du moins tout seul. Harry et moi avions sillonné bien des fois la baie en tous sens ; mais alors je ne dirigeais pas la barque, et, confiant dans l’expérience du jeune batelier, je n’avais aucune raison de m’effrayer. Maintenant, quelle différence ! tout reposait sur moi, et en cas d’accident, je n’avais personne pour me donner conseil ou assistance.

Pour dire la vérité, je n’étais pas à un mille du rivage que je commençai à trouver mon entreprise non seulement audacieuse, mais folle, et je me sentais bien près d’y renoncer. Par malheur, je réfléchis que quelque garçon du village, jaloux de ma réputation, avait pu remarquer mon départ pour l’île, et que, devinant le motif de mon retour anticipé, il ne manquerait pas de me traiter de capon. Cette pensée, jointe au désir d’atteindre mon but, me retint ; je pris mon courage à deux mains et continuai ma route.

À un demi-mille du récif environ, je me reposai sur mes avirons et me retournai pour y jeter un coup d’œil. Il émergeait complètement, car la mer était basse ; mais les pierres noires disparaissaient sous une multitude de volatiles. Il semblait qu’une bande de cygnes ou d’oies sauvages en eût pris possession. Comme je l’avais supposé, ce n’étaient que des mouettes dont plusieurs tournoyaient dans l’air, puis se posaient, tandis que d’autres s’envolaient à leur tour, et, malgré la distance, je distinguais leurs cris perçants.

Je repris ma course avec l’intention de m’arrêter de nouveau à quelque distance, afin de pouvoir observer leurs mouvements. Beaucoup couraient sur les rochers sans que je pusse