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Je n’en tins bientôt aucun compte, et ma désobéissance, comme vous allez le voir, faillit encore me coûter la vie.

Mais laissez-moi vous parler d’abord d’un événement malheureux qui produisit à cette époque une véritable révolution dans mon existence.

Je vous ai déjà dit que mon père naviguait. Il commandait un navire qui faisait le commerce avec les colonies d’Amérique, et il venait si rarement à la maison que c’est à peine si je me le rappelle.

À partir du jour où nous reçûmes la triste nouvelle de son naufrage et de sa mort, ma mère commença à décliner et sembla n’avoir plus d’autre désir que celui d’aller le rejoindre dans un monde meilleur.— Le ciel ne tarda point à exaucer ses vœux ; quelques semaines plus tard, j’accompagnais ma pauvre mère à sa dernière demeure.

Dès lors mon existence changea ; j’étais devenu orphelin, sans ressources et sans asile.

Quant à moi, je fus recueilli par un oncle, frère de ma mère, qui n’avait malheureusement aucun des sentiments tendres et affectueux de sa sœur. Il était au contraire morose et grossier, et je m’aperçus bientôt qu’il ne faisait guère plus attention à moi qu’à ses domestiques, car il me traitait juste de la même façon.

Du jour où j’entrai chez mon oncle, on ne m’envoya plus à l’école. Ce n’est pas cependant qu’on me laissât à rien faire. Mon oncle était cultivateur et il me trouva bientôt un emploi ; si bien qu’à garder les porcs et les vaches, à conduire les chevaux à la charrue, à nourrir les moutons et les veaux et autres choses semblables, j’étais occupé chaque jour de la semaine du lever au coucher du soleil. Je pouvais me reposer le dimanche, non que mon oncle fût bien religieux, mais c’était l’habitude du village de ne point travailler le jour du Seigneur. Mon oncle était donc obligé de faire comme tout le monde ; sans cela, je crois bien qu’il nous aurait fait travailler le dimanche autant que les autres jours. Du reste, il ne m’envoyait point à l’église et me laissait libre ce jour-là de courir où je voulais. Soyez sûrs que je ne restais point dans les champs. La mer azurée, qui s’étendait à l’horizon, avait plus d’attrait pour moi que les nids, les fossés et les buissons. Dès que je pouvais m’échapper de la maison, je me précipitais vers mon élément favori, soit pour accompagner Harry Blew dans une de ses excursions nautiques, soit pour m’emparer du youyou et canoter pour mon compte.

Un certain, dimanche pourtant fut bien loin d’être plaisant pour moi ; il s’en fallut de peu, au contraire, qu’il ne devînt le plus douloureux et le dernier de ma vie, ainsi que vous allez le voir.

C’était par une splendide matinée du mois de mai. Le soleil inondait la terre de ses rayons les plus brillants, et les oiseaux remplissaient l’air de leurs chants joyeux.

Que la campagne était belle avec ses haies fleuries, ses champs de blé encore verts, ses prairies émaillées d’orchis pourpres et de renoncules dorées, ses chants et ses nids d’oiseaux !

Quel attrait pour la plupart des enfants de mon âge ! Mais la grande plaine liquide d’un bleu profond, dont les eaux calmes et limpides réfléchissaient au loin les rayons du soleil comme un gigantesque miroir, me fascinait bien davantage.

Aussi, quand, au sortir de ma chambre, j’aperçus dans le lointain la mer unie comme une glace, je sentis naître en moi un désir inexprimable de me lancer sur ses ondes.

Je pris toutefois mes précautions pour n’être point aperçu. Mon oncle pouvait me rappeler et s’opposer à ce que je m’éloignasse, car, s’il me laissait volontiers gambader dans la campagne, il n’aimait pas mes excursions nautiques et me les avait déjà défendues. Cette appréhension me fit user de stratagème ; au lieu de suivre l’avenue qui conduisait à la grande route, je pris un sentier détourné. Je réussis de la sorte à gagner le rivage sans rencontrer aucun des gens de la ferme.

En arrivant à la crique, où mon ami le batelier remisait ses canots, je vis que la yole manquait, mais que le youyou était là à mon service. C’était précisément ce que je souhaitais, car j’avais conçu le dessein de faire une grande excursion ce jour-là.

J’entrai d’abord dans le youyou, qui me parut contenir pas mal d’eau, ce qui prouvait qu’on ne s’en était pas servi depuis plusieurs jours. Heureusement, je trouvai dans le fond une vieille casserole qui servait d’écope. Après avoir écopé dix minutes ou un quart d’heure, mon canot me parut assez sec pour ce que j’en voulais faire. Les rames étaient déposées dans une cabane, située à quelque