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arbres. Ce dernier plan ne leur convenait en aucune façon.

Quelquefois, ces faux « passages » les trompaient pendant des jours entiers, qu’ils dépensaient en inutile navigation. C’était un vrai désert qu’ils parcouraient, mais un désert ressemblant à un jardin ou verger submergé par l’inondation.

On y rencontrait toute espèce de fruits. Le Mundrucu seul les connaissait. Plusieurs étaient excellents, d’autres devaient être redoutés comme des poisons. L’obligation de chercher ces fruits, qui servaient à leur nourriture, était en même temps une distraction pour eux. Aucun de nos aventuriers n’aurait pu dire combien de temps ils errèrent ainsi à « flot dans la forêt ». Il y eut des jours où ils ne virent pas le soleil ni même le jour qui leur étaient cachés par le toit épais de verdure formé par les arbres.

Enfin, après bien des désespoirs et des attentes trompées, une vision céleste leur apparut sous la forme d’un vaisseau ! Un vaisseau qui naviguait à travers la forêt ! Non pas, il est vrai, un grand vaisseau de l’Océan, mais une embarcation ayant la coque d’un bâtiment, mâts, espars, voilure et cordages. C’était un schooner à deux mâts, un marchand du Solimoës.

Le vieux Tapuyo le reconnut du premier coup d’œil et le héla aussitôt. Il savait, par le caractère de l’embarcation, que sa présence était une preuve de plus qu’ils se trouvaient dans la bonne direction.

« Elle descend à Gran Para, dit le Tapuyo. Je puis l’affirmer, par la manière dont elle est chargée ; voyez : salsepareille, vanille, quinquina, saponaire et fèves de Tonka. — Hohé ! ho ! de la galiote ! »

Le schooner était à portée de les entendre.

« Prenez-vous des passagers à bord ? Nous voulons aller à Gran Para. Notre embarcation n’est pas appropriée à un si long voyage. »

Le patron de la galiote accepta la proposition ; dix minutes après avoir été hélé, il recevait à son bord l’équipage de l’igarité.

Le canot fut abandonné aux brises et aux courants du gapo, tandis que le schooner continuait de marcher vers sa destination. Il n’était pas dans le Solimoës même, mais dans une de ses ramifications. Deux jours après avoir recueilli les naufragés, la galiote entra dans le fleuve principal, et de là, glissa gaiement vers Gran Para. Ceux qui se trouvaient à son bord n’en avaient pas été moins joyeux en découvrant que, parmi les passagers recueillis, se trouvaient le fils et le frère de leur patron. La cargaison du schooner appartenait à Trevaniow. Le jeune Paranèse reconnut dans le capitaine marchand un de ceux de son père.

Les attentions dont nos aventuriers furent comblés leur rendirent la santé et la gaieté. Quelques mots suffiront pour raconter la fin de leurs aventures.

Les deux frères retournèrent dans leur patrie et habitèrent sous le même toit, sous celui qui les avait vu naître. Le spoliateur qui avait retenu leur propriété était mort en laissant un fils, qui, après avoir dissipé la plus grande partie de sa fortune, mit le domaine aux enchères. Les deux Trevaniow arrivèrent à temps pour racheter ces terres qui avaient appartenu à leurs ancêtres.

La propriété ne changea pas de nom, bien qu’elle eût été divisée en deux parties égales, un double mariage ayant uni les enfants des deux frères : Richard épousa Rosita, sa brune cousine, et Ralph fut agréé par une sœur du jeune Paranèse, dont nous avons eu peu l’occasion de parler, une jolie blonde du nom de Florence.

Le domaine resta donc ainsi aux Trevaniow pur sang.

Si vous alliez faire un tour vers Land’s End et si vous me demandiez de vous introduire chez nos anciens amis, vous trouveriez dans la maison du jeune Ralph : premièrement, le vieux Ralph, devenu grand-père ; secondement, la jolie Florence, entourée de nombreux rejetons, au teint olivâtre, de la famille Trevaniow ; et enfin, dans le hall, où il s’empresserait auprès de vous — un individu dont la toison autrefois rouge carotte, se transformait aux tempes en fils de couleur de chanvre — vous le reconnaîtriez pour Tipperary Tom.

Longez une demi-douzaine de champs, avancez sous l’ombre d’arbres gigantesques, traversez une passerelle élevée au-dessus d’une petite rivière où frétillent les carpes et les truites ; poussez une porte d’osier, ouvrant sur un splendide parc, et ensuite suivez une allée sablée qui conduit devant la maison. Entrez dans le vestibule, vous rencontrerez un noiraud de votre connaissance, Mozey, qui vous conduira près de son maître, beau