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CHAPITRE XXII
Conclusion.


Il faudrait un autre volume pour raconter les diverses aventures du mineur et de son monde, avant d'arriver à Gran Para ; mais comme elles auraient une certaine ressemblance avec celles que nous avons déjà racontées, nous nous bornerons à dire comment nos naufragés sortirent du gapo.

Grâce à l’igarité, qui, bien que construit grossièrement, était cependant une embarcation de beaucoup préférable au tronc d’arbre ; grâce aussi aux quatre pagaies et à la voile taillée dans la vache marine, ils se sentirent de force à naviguer à travers la forêt submergée dans n’importe quelle direction.

Leur première pensée fut de sortir de la lagune; ils couraient des dangers tant qu’ils resteraient dans cette pièce d’eau, les sauvages pouvant se remettre de nouveau à leur recherche. Poussés par leurs instincts cannibales ou par le besoin de vengeance, il était presque certain qu’ils reparaîtraient — peut-être pas tout de suite — mais un jour ou l’autre. La totale destruction de leur « flotte » amènerait peut-être quelque délai dans l’exécution de leur plan d’hostilité ; mais il n’en serait pas moins exécuté tôt ou tard.

Nos aventuriers ne s’occupèrent donc plus que des moyens de sortir de la lagune.

Était-elle cernée par la terre, ou bordée de tous côtés par la forêt submergée? Telle était la question, et personne n’y trouvait de réponse.

Retourner du côté d’où ils étaient venus sur le bois mort eût été faire un voyage inutile. Ils savaient que l’eau était obstruée l’espace de plusieurs milles, puisque, pendant des milles, ils avaient nagé en suivant la lisière, au moyen de leurs ceintures natatoires.

C’était dans cette direction qu’ils avaient été conduits, lorsque les sauvages se mirent à leur poursuite.

Dès la fin de la chasse, quand ils se crurent hors de la vue de leurs ennemis, ils changèrent de chemin, gouvernant l’igarité presque à angle droit de la ligne de la poursuite abandonnée.

Heureusement, ils suivaient la bonne direction.

Dès qu’ils furent en vue des arbres, ils aperçurent une large voie d’eau courant hors de la lagune, et formant une ligne claire à l’horizon. Ils ne revirent plus les Muras.

Mais bien que désormais délivrés de l’inquiétude d’être poursuivis par les Indiens, ils n’étaient point encore sauvés; ils avaient toujours devant eux, autour d’eux, ces déserts de forêt submergée qui les exposaient à des dangers sans nombre.

Ils se trouvèrent dans un labyrinthe de lacs, qu’on eût dit entourés de terre avec des îles éparpillées sur leur surface, et communiquant les uns avec les autres par des canaux ou détroits, tous bordés d’épais ombrages. Ils savaient qu’il n’y avait point là de terre, mais seulement des sommets d’arbres entrelacés ensemble par des ilianas et supportant des quantités innombrables de plantes parasites. C’était le gapo, enfin, toujours le gapo.

Ils ne le connaissaient que trop bien maintenant.

Ils errèrent pendant des jours entiers à travers ces solitudes, tantôt traversant une étendue d’eau, tantôt explorant quelque large canal ou un étroit igarapé, pour le trouver souvent terminé par une impasse ou bolson, selon le terme des Espagnols, que bordait de tous côtés un impénétrable bosquet de sommets d’arbres.

Il n’y avait, en cet état de choses, qu’à pagayer en arrière encore, ou bien à abandonner l’igarité et à prendre par les sommets des