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qu’ils ne soient trop occupés pour songer à bavarder : s’ils n’avaient pas l’intention de nous poursuivre, vous entendriez leurs hurlements ; oui, vous pouvez en être sûrs, ils vident leurs canots, qui peuvent être encore à la surface de l’eau. »

Et Munday expliqua le travail que lui et Richard avaient accompli sur l’écorce des igarités.

« En route ! en route, et vivement ! » s’écria-t-il ensuite.

Il n’y avait pas à hésiter sur la direction à prendre : il fallait choisir celle qui était opposée à la malocca. Trevaniow avait proposé de rester sur la lisière de la lagune, à l’ombre des arbres ; cela devait les empêcher d’être vus.

« Non, dit le Tapuyo. Dans dix minutes il fera clair au-dessus de l’eau. Ce serait donner l’avantage à nos poursuivants, et d’ailleurs nous serions tout de même en vue ; eux, en traversant tout droit, nous surprendraient facilement. Ne voyez-vous pas que les arbres tournent en cercle ?

— C’est vrai, répondit Trevaniow. Espérons que la pensée de nous poursuivre ne leur viendra pas.

— Encore cinq minutes d’incertitude, murmura le Tapuyo ; d’ici là, il fera assez jour pour voir sous les arbres, nous saurons ce qu’ils font et si les canots ont coulé.

Les cinq minutes indiquées par Munday n’étaient pas écoulées, lorsque, hélas ! un canot se détacha de la ligne sombre formée par l’échafaudage de la malocca.

« Le gros igarité, murmura-t-il, — juste ce que je craignais, patron.

— Et regardez là-bas, dit Richard, voilà un autre canot qui le suit.

— S’il n’y en a pas-plus, nous sommes sauvés, remarqua le Mundrucu.

— — Ils sont montés par des sauvages ; il ne me paraît pas y en avoir plus de dix en tout.

— S’ils ne deviennent pas plus nombreux, bien que nous ne soyons pas égaux en nombre, assurément, nous pourrons faire face à des êtres comme ceux-là. Oh ! si seulement nous avions des armes ! »

En parlant ainsi, l’ex-mineur regarda au fond du canot pour voir ce qui pourrait remplacer les armes qui faisaient défaut. Il trouva la lance de pashiuba, que Munday y avait jetée en même temps que les morceaux de viande, et une espèce de javeline barbelée ou harpon, avec laquelle le sauvage avait frappé la vache marine. On pouvait ajouter à ce faible arsenal les pagaies fabriquées dans les omoplates de la vache et le couteau de Munday.

Trevaniow assura qu’ils n’avaient pas à redouter autre chose que les flèches et les javelines des sauvages.

Il n’y avait toujours pas d’autres barques en vue que les deux premières.

« Ils sont sûrs de nous atteindre, remarqua le Tapuyo, car ils sont six aux pagaies, et il est facile de voir qu’ils gagnent déjà du terrain. Vite ! Vite ! ramons de toutes nos forces, car nous ramons pour notre vie : plus nous serons près du village, plus il y aura de danger pour nous ; ils peuvent repêcher quelques-uns des canots et nous arriver plus en force. »

Tous ramaient en silence, tandis que les poursuivants, au nombre de huit ou dix, lançaient sur l’eau les hurlements les plus farouches, dans l’espoir, sans doute, de porter la terreur dans l’âme de leurs ennemis.

Ceux-ci manifestèrent la détermination de combattre jusqu’à la mort plutôt que de se rendre.

Les sauvages arrivèrent bientôt à une portée d’arc de leur canot. Le premier acte d’hostilité qui signala leur approche fut une volée de flèches qui manqua le but. Voyant qu’ils étaient encore à une trop grande distance pour que leurs traits pussent blesser, les six Muras reprirent leurs rames, tandis que les deux autres sauvages du canot continuèrent à lancer leurs flèches contre l’igarité poursuivi. Ils paraissaient avoir une grande sûreté de coup d’œil et une grande force de bras. Déjà un de leurs traits avait touché l’occiput crépu du nègre ; un second blessa à la joue Tipperay Tom ; un troisième s’était abattu sur la peau de la vache marine qui protégeait Rosita, après avoir sérieusement menacé la petite créature qui se trouvait dessous.

Le tireur habile, auteur de ces trois coups, était le captif échappé, l’homme au harpon. La quatrième flèche fut attendue avec une appréhension affreuse ; elle vint siffler à travers l’eau et percer le bras du Mundrucu. Celui-ci laissa tomber la rame en poussant un cri de colère plutôt que de douleur, cal il n’était que légèrement blessé.

La pointe de la flèche tenait encore dans le bras gauche. Il la retira de la main droite et enleva vivement le harpon avec la longue corde qui y était attachée et qu’il avait déjà