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vaient bien contenir une huitaine de personnes. Le Tapuyo ne s’occupa d’abord que des canots. Il leur rendit visite successivement, en ayant soin de se pencher, de façon que sa tête ne pût être aperçue au-dessus de la surface des igarités. Elle n’était visible que pour son compagnon, dont les mains l’aidaient activement. Que pouvaient-ils faire ?

Nos deux nageurs, à l’aide du couteau, avaient troué l’écorce de chacun des cinq canots qui étaient en train de couler.

Ils eussent été à fond certainement sans la négligence qui avait permis au Mura de se sauver.

En effet, juste au moment où Munday et le jeune Paranèse allaient monter dans le neuvième canot laissé intact, une forme sombre, qu’on aurait pu prendre pour le démon des flots, se montra tout à coup. Après s’être accrochée à un iliana, elle escalada d’un seul bond l’échafaudage au-dessus.

Malgré l’obscurité, Munday reconnut aussitôt le captif mura.

« Santo Dios ! murmura-t-il, c’est le sauvage. Ils l’ont laissé échapper, et maintenant nous sommes découverts. Vite, jeune maître, dans l’igarité. Très bien, voici deux pagaies, prenez-en une, moi l’autre. Pas un moment à perdre. Dans dix minutes nous serons sauvés ; regardez ! les canots s’enfoncent. S’il nous laissait seulement dix minutes avant de donner l’alarme… Ah ! je les entends !… vite ! vite ! »

Tandis que le Tapuyo parlait ainsi, un hurlement sauvage s’entendit sur l’échafaud au-dessus. C’était le signal donné par le sauvage à sa nation ; non pas qu’il se doutât du travail opéré par les deux hommes sur les canots, mais il les avait vus s’embarquer sur son propre bateau, et il avait supposé une entreprise nocturne contre la malocca.

À peine l’avertissement du Mura avait-il été donné, qu’une centaine de voix furieuses y répondirent.

En moins de dix secondes toute la tribu fut sur pied, et se précipitait vers la lagune. Inutile de dire que Munday et son compagnon ne restèrent pas à s’assurer de la réussite de leur travail sur les canots. Ils ne s’occupèrent qu’à pagayer le plus vivement possible vers la petite crique habitée par leurs compagnons.

La fuite de leur captif avait causé les plus vives appréhensions aux gens restés sur le tronc d’arbre, et ces appréhensions ne furent guère calmées par la vue d’un canot rentrant dans l’arcade. Le plus simple raisonnement les avait bientôt amenés à cette conclusion que le second fait n’était que le résultat du premier.

Qu’étaient devenus leurs compagnons ? Ils poussèrent un cri de joie, qu’ils étouffèrent aussitôt, à la vue de Munday et de Richard qui émergèrent subitement de l’eau.

« Vite, vite, dit le Tapuyo, vous avez commis une grande faute en laissant le captif s’échapper… Hâtez-vous ; tout le monde dans l’igarité. »

Tout en donnant ses ordres, l’Indien sauta sur le monguba, et, déchirant du haut en bas la voile de peau, il la jeta dans le canot, ainsi que plusieurs morceaux de vache marine.

Pendant ce temps, tous les autres avaient abandonné l’arbre et pris place dans le canot. Richard avait eu soin d’y installer la petite Rosita. Munday et le nègre s’emparèrent des rames, car il n’y avait pas un instant à perdre, tandis que Trevaniow et son neveu se servaient des pagaies taillées dans les os de la vache marine.

Une vingtaine de secondes suffirent pour les conduire en pleine lagune.

« Où nous dirigeons-nous ? demanda Trevaniow en cessant de manier l’aviron.

— Un instant, patron, reprit le Tapuyo, debout et les yeux fixés sur la malocca. Il faut d’abord chercher à savoir si les sauvages sont à même de nous suivre.

— Vous pensez qu’il y a quelque chance pour qu’ils ne nous poursuivent pas ?

— Une chance, oui — nous aurions eu une certitude si vous n’aviez pas laissé échapper le vilain singe : nous serions tous en sûreté maintenant. Le temps voulu ne s’est pas encore écoulé pour que tous les canots coulent à fond. »

Le Tapuyo n’examina la surface de l’eau que quelques minutes. L’aurore commençait à poindre à l’horizon, et bien qu’il fût loin de faire jour, ce n’était plus la profonde obscurité qui régnait quelques instants auparavant.

Une tranquillité parfaite semblait régner autour du village mura. Les feux étaient éteints, on n’entendait pas un bruit. Munday fit la remarque que ceci lui semblait de mauvais augure.

« Pourquoi ? demanda Trevaniow disposé à penser le contraire.

— C’est bien simple, patron. Je crains