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au sujet de leur entreprise, n’était certes pas plus grande que celle des amis qui restaient derrière eux.

À peine furent-ils partis, que Trevaniow se repentit d’avoir donné son consentement. N’avait-il pas à répondre de la vie de Richard qui lui avait été confiée par son frère ?

Au moment de s’éloigner, Munday lui avait dit bas à l’oreille :

« Patron, si nous ne sommes pas revenus avant le point du jour, restez où vous êtes jusqu’à demain soir ; alors, s’il fait sombre, agissez comme nous nous l’étions proposé pour cette nuit. Fuyez ; mais ne craignez rien. En parlant ainsi, je mets les choses au pire. Le Mundrucu croit au succès. Pa terra ! dans une heure nous serons de retour, apportant avec nous quelque chose dont nous avons besoin pour nous emmener hors du gapo et loin de nos ennemis. »

Les voyageurs restèrent assis sur la souche, se livrant à toutes sortes de conjectures sur la mystérieuse conduite du Tapuyo. Pendant ce temps, ils oublièrent la recommandation qu’il leur avait faite : de ne pas perdre de vue le prisonnier. Ils le savaient si bien lié par les cordes de sipos, qu’ils ne supposaient pas qu’il pût s’en débarrasser. Ils ignoraient à qui ils avaient affaire.

Dès que celui-ci eut vu que les yeux de ses sentinelles n’étaient plus fixés sur lui, il se débarrassa des sipos avec autant de facilité qu’une anguille ; puis, glissant doucement en bas de la souche, il se jeta à l’eau et nagea sans bruit vers les sommets d’arbres. Son départ ne fut pas remarqué par ses gardiens ; ce ne fut qu’une demi-heure après que ces derniers s’aperçurent de sa disparition. Grande fut leur surprise, comme on le comprend ; ils s’empressèrent aussitôt vers le bord de la lagune pour chercher à apercevoir le fuyard ; mais ils ne distinguèrent à travers l’obscurité que plusieurs canots vivement pagayés dans la direction de l’arcade.


CHAPITRE XXI
Coulage de canots. — Le bois flottant abandonné. — L’ennemi apparaît. — La chasse.


Nous laisserons les aventuriers à leurs alarmes, pour en expliquer les causes.

Le Mundrucu et son jeune compagnon, ayant conduit leur canot hors de la petite crique, le dirigèrent vers le village mura. Ils n’éprouvèrent aucune difficulté à suivre la bonne direction. Quoique les feux fussent moins brillants, leur rayonnement rouge les guidait cependant ; ils avaient encore le bord de la forêt à contourner, et ils se tinrent avec soin sous l’ombrage des arbres de la rive pour se mettre à couvert. En moins d’une demi-heure, ils se trouvèrent à une centaine de yards du village.

Amarrant le canot à un arbre, de façon à pouvoir le détacher facilement, tous deux se risquèrent de nouveau sur la lagune. Chacun s’était précautionné d’une ceinture de cosses de sapuçaya, la tâche qu’ils avaient entreprise pouvant les obliger à se tenir longtemps dans l’eau. Il était possible qu’ils eussent à rester en place sans faire de bruit. Ainsi accoutrés, et le Tapuyo armé de son couteau, ils nagèrent vers les échafaudages avec les plus grandes précautions pour n’être pas aperçus.

Le village entier paraissait endormi : pas une forme humaine ne se montrait, pas un bruit ne s’entendait ; une dizaine d’embarcations étaient amarrées aux troncs des arbres qui supportaient les échafaudages.

C’était vers ces embarcations que Munday se dirigeait. Six à peu près étaient des igarités ou canots construits d’écorce d’arbre ; mais trois autres plus grandes et plus finies pou-