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vage avait attrapé la vache marine, les choses auraient eu un autre dénouement ; alors vous les auriez vus accourir, leurs ventres les auraient amenés à lui comme un troupeau de vautours affamés. À moins que le hasard ne les guide de ce côté, nous n’avons rien à craindre, du moins pour aujourd’hui. Quant à demain, s’ils restent à distance, je crois que je puis tenir ma promesse, et alors non seulement nous serons au delà de l’atteinte des Muras, mais entièrement hors de cette maudite lagune. »

Les aventuriers n’avaient pas mangé depuis le matin, n’osant pas allumer du feu, de peur que la fumée ne les trahît. Quelques-uns d’entre eux, qui avaient des estomacs plus voraces que les autres, avaient dévoré un peu de viande crue. D’autres attendaient, sur la promesse du Mundrucu, qui leur assurait qu’ils auraient la facilité de faire cuire quelque chose avant l’aurore du jour suivant. Leur abstinence était tout à fait mal interprétée par le Mura. Le malheureux pensait qu’ils voulaient se nourrir de sa propre chair. Ils avaient pris toutes les précautions possibles pour empêcher qu’il ne s’échappât, lui ayant lié les pieds et les mains avec les plus forts sipos. Il était de plus attaché au monguba. Une liane bien tordue lui retenait le cou. Aucune précaution pour l’assujettir et lui ôter tout moyen de fuite n’avait été négligée.

Le canot, mis hors de sa portée, ne pouvait lui faire grand défaut au cas où il aurait voulu rejoindre ses compagnons ; car, comme Munday l’assurait, le Mura pouvait voyager sur le sommet des arbres avec la facilité des singes, il était un point sur lequel Trevaniow conservait des doutes, à savoir : s’ils étaient réellement aussi en danger par le voisinage des sauvages que Munday voulait le leur faire croire. Mais l’échantillon qu’on tenait captif suffisait pour répondre à la question. Jamais expression plus hideuse ne s’était vue. Si on avait laissé faire Munday à sa guise, il eût agi avec le sauvage d’après ce vieil adage : « Les morts ne parlent pas. »


CHAPITRE XX
Le cri du jaguar. — Le départ. — Une heure en suspens.


La nuit arriva sans aucun accident alarmant ; mais, vers le coucher du soleil, une circonstance effraya un peu nos aventuriers : la lune s’élevait dans le ciel et faisait présager un clair de lune superbe.

Or, Munday avait déclaré que la réussite de ses plans exigeait l’obscurité.

Son projet était, aussitôt la nuit venue, de conduire de nouveau le bois flottant en pleine eau, et alors, en cas de bon vent, de tendre la voile et de filer dans une direction contraire à la malocca. En cas de calme absolu, ils devaient employer les rames et longer le bord de la lagune, en s’éloignant aussi vite que possible ; au cas où ils n’auraient pas fait tout le chemin désirable au point du jour, ils essayeraient de nouveau de se cacher dans les sommets d’arbres en attendant une seconde nuit.

Mais voilà que, contrairement à leur espoir, la lune s’élevait dans le ciel, illuminant toute la lagune d’une clarté blanche. Comme il n’y avait pas la plus petite ride sur l’eau, nécessairement le moindre objet sombre glissant à sa surface devait être remarqué. Les feux allumés de la malocca se reflétaient au loin, la forêt faisait entendre de nouveau sa clameur nocturne. Le cri lugubre du tyran de la forêt, du tigre-jaguar, s’élevait au-dessus de tous les autres.

Le cri de cet animal retentissant au milieu du gapo annonçait le voisinage de la terre. Trevaniow en fit la remarque.