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tous ses membres donna le spectacle le plus abject. Sans doute il se croyait sur le point d’être mangé ou tué. Un flot rouge, ruisselant de son dos, apprit comment il avait fait connaissance avec le couteau du Mundrucu. C’est après avoir reçu cet avis qu’il s’était rendu.

On demanda à Munday des explications sur sa capture.

« Pendant que le sauvage, dit-il, avançait en montant l’arcade, il s’était lui-même tranquillement jeté à l’eau, nageant dans une direction éloignée, comme s’il avait eu l’intention de rencontrer le chasseur en face. L’obscurité le favorisa, comme aussi les grandes vagues laissées sur l’eau par le plongeon de la vache blessée. Ces vagues, en se brisant contre les arbres, formaient une écume qui empêchait de voir ce qui se passait dans l’eau. Il s’était caché à l’aide de ce bouillonnement de l’onde, s’accrochant à une branche d’arbre et attendant là le passage de l’Indien, devinant bien qu’il rebrousserait chemin à la vue des étrangers.

— Mais si le cri du sauvage a été entendu, dit Trevaniow, il y bien peu de chance pour que nous échappions à la malocca ; d’après ce que nous avons vu, je suppose que ces créatures hideuses sont par centaines, et nous sans armes, sans moyens de défense, comment nous en tirerons-nous ? C’est heureux, Munday, ajouta l’ex-mineur, que vous n’ayez pas tué le Mura.

— Pourquoi ? patron, demanda le Tapuyo surpris.

— Parce que le meurtre d’un des leurs aurait rendu les Indiens plus désireux de se venger, et si nous étions pris, ils se montreraient plus féroces.

— Oh ! reprit Munday, si nous avons la mauvaise chance d’être faits captifs, nous ne serons pas plus épargnés : à défaut de vengeance, ils ont un appétit qui assure à l’avance notre destruction. Vous comprenez, patron ? »

Cette conversation se continua à voix basse entre le patron et le Tapuyo.

« Oh Dieu ! murmura l’ex-mineur en regardant ses enfants. Que faire ? Si les sauvages découvrent notre retraite avant la nuit, nous serons pris assurément.

— Si le cri du Mura n’a pas été entendu, je vous assure, patron, qu’avant minuit nous serons non seulement hors de la portée de ces sanguinaires camarades, mais encore en bonne voie de sortir de nos ennuis entièrement. Oh ! mais que devient là-bas notre embarcation ? »

Et à l’instant le Tapuyo se jeta à l’eau : il s’agissait de ramener le canot du sauvage sous l’ombre de l’arcade ; déjà poussé par la brise, il s’en allait vers la lagune ; or, sa vue, surtout renversé comme il l’était, aurait donné l’alarme dans toute la malocca. Munday parvint à le saisir avant qu’il eût dépassé une trop grande distance, et, à l’aide d’un morceau de corde attaché à la proue, le remorqua.

Les voyageurs restèrent toute la journée en silence, serrés les uns contre les autres dans leur retraite ombragée.

De temps en temps seulement, le Mundrucu nageait vers l’arcade, et, protégé par les arbres, jetait un coup d’œil sur la pleine eau en dehors.

Il ne découvrit rien d’alarmant. Il vit bien un canot plus grand que celui qu’il avait pris, avec trois hommes dedans, mais ils ne se dirigeaient pas du côté de leur cachette. Ils étaient en dehors sur la lagune, à peu près à deux cents mètres du bord et vis-à-vis de la malocca. Il guetta le canot tant qu’il resta en vue ; les gestes de ceux qui le montaient indiquaient qu’ils péchaient ; mais quelle sorte de poisson pouvaient-ils prendre, sur ce lac immense ? Mundrucu ne le devinait point.

Us restèrent ainsi occupés environ une heure, puis, ramenant leur embarcation parmi les arbres, on ne les revit plus. Ce spectacle satisfit le Tapuyo et les autres à qui il fit son rapport. Évidemment, le harponneur captif maintenant étant sorti seul, son aventure était restée ignorée. Cette circonstance assurait la sûreté des voyageurs.

Combien l’absence du Mura pouvait-elle durer sans exciter les soupçons de sa tribu, et sans qu’on se mît à sa recherche ? Il était possible qu’il eût une femme, des amis, pour s’étonner de sa disparition.

« Ne vous inquiétez pas, répondit le Tapuyo en réponse à ces réflexions faites par le patron. Un objet comme celui-ci, continua-t-il en montrant avec dédain le prisonnier, ne manquera pas plus qu’un singe coaïta qui se serait égaré de sa troupe. S’il a une femme, ce que je ne pense pas, elle ne sera que trop contente d’en être débarrassée. Quant à venir à sa recherche par affection, comme vous le supposez, vous êtes dans l’erreur. Parmi les Muras, un tel sentiment n’existe pas ; si le sau-