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Munday et Richard avaient vu ces bateaux pendant leur exploration ; ils paraissaient de structure grossière, mais si lents et si mauvais qu’ils fussent, ils ne pouvaient l’être plus que le bois flottant, et, en cas de chasse, ce dernier devait être facilement capturé. Un seul plan offrait une apparence de sûreté : c’était de rester dans l’arcade ; en espérant que rien n’y amènerait les sauvages ; au retour de la nuit, on pouvait en sortir furtivement, et, par un usage énergique des rames, arriver à mettre une distance plus sûre entre le radeau et les dangereux habitants de la malocca.

Ayant décidé d’adopter ce plan, nos aventuriers tirèrent leur embarcation dans le coin le plus noir de la baie, et, S’attachant solidement à un arbre, ils se préparèrent à passer le temps de la manière la plus agréable possible en cette circonstance. S’asseoir sous cet ombrage triste et silencieux, n’avait rien de bien amusant, surtout avec la perspective continuelle d’entendre le cri perçant d’un sauvage donnant le signal de la découverte de leur retraite.

Nos aventuriers prirent toutes les précautions possibles pour n’être point découverts ; ainsi, ils ne rallumèrent pas le feu sur le bois flottant ; il leur eût été cependant bien nécessaire pour cuire leur déjeuner, mais la fumée pouvant déceler leur présence, ils décidèrent tous que, ce jour-là, on mangerait de la viande crue.

Bien qu’ils fussent assis dans l’obscurité, ils voyaient de la clarté au delà de l’embouchure de la baie, qui pénétrait sous les arbres en ligne droite.

Leur situation ressemblait à celle d’une personne renfermée dans une caverne ou une grotte, et apercevant l’Océan au delà. C’est vers ce point éclairé que leurs yeux étaient sans cesse fixés, dans l’espoir de ne rien voir surgir de nouveau. Ils n’avaient pas besoin de surveiller les autres directions : derrière eux et de chaque côté s’étendait le mur solide des sommets des arbres, ombragés par les ilianas enchevêtrés les uns dans les autres, véritable tissu de verdure qui semblait impénétrable même aux animaux des forêts.

Qui aurait pu supposer qu’un ennemi de forme humaine serait venu de ce côté ? Aussi ne regardaient-ils que la lagune.

Les naufragés employèrent le temps à causer, en ayant soin toutefois de ne pas élever la voix. Jusqu’à midi, aucun incident ne vint ajouter à leurs appréhensions, remplacées peu à peu par l’espoir d’échapper à la vue des sauvages jusqu’à la nuit.

De temps en temps, un oiseau, frayant son chemin au-dessus de la lagune, traversait la bande brillante dorée par le soleil. La présence des oiseaux, les ébats d’un couple de vaches-poissons en dehors de l’arcade, tout faisait supposer l’absence d’êtres humains.

C’était un spectacle bien tentant pour le vieux Tapuyo que celui d’une vache marine, endormie à quelques centaines de mètres des arbres ; il eut grand’peine à se retenir de nager pour l’attaquer, soit avec son couteau, soit avec la lance de pashiuba ; mais le Mundrucu résista à la tentation et se résigna, quoique non sans regret, à laisser l’animal continuer son sommeil sans interruption.

Malheureusement pour nos aventuriers et pour la vache marine, d’autres yeux que ceux du Tapuyo avaient suivi les gambades des deux cétacés, et avaient remarqué particulièrement la sieste de celui qui était resté immobile. Ni Munday ni ses compagnons ne soupçonnaient cette circonstance, et ils cessèrent même de pensera la vache marine ; tout à coup ils la virent s’élancer hors de l’eau, et, après deux ou trois plongeons désordonnés, s’enfoncer subitement dans la lagune. Cette action était si soudaine et si peu naturelle qu’elle ne pouvait avoir été causée que par l’attaque d’un ennemi.

Il n’y avait ni requins ni espadons dans le gapo, ni crocodile d’Amérique, ni oiseau, pas même le grand condor, capables d’oser s’attaquer à une proie de taille semblable.

Quelques-uns des aventuriers prétendaient avoir vu briller quelque chose comme une étincelle ou un éclair, au moment où la vache marine avait bondi.

« Pa terra ! s’écria le Tapuyo évidemment alarmé, je sais ce que c’est, ne bougez pas ou nous sommes perdus !

— Expliquez-vous, dit Trevaniow.

— Eh bien ! regardez là-bas, patron. Ne voyez-vous pas l’eau en mouvement ?

— Mais c’est très naturel après le brusque plongeon de la vache.

— Regardez ce bouillonnement. C’est une corde qui produit cela… Et plus loin, vous verrez encore autre chose… »

Munday n’eut pas besoin de continuer l’explication.

Ses compagnons aperçurent, au delà de la