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tribus sauvages habitaient la région du gapo, faisant leur demeure, pendant la saison de l’inondation, sur le haut des arbres ; que plusieurs étaient cannibales, toutes sauvages et féroces. Sans plus faire d’opposition alors, l’ex-mineur s’élança sur une des pagaies et donna lui-même l’exemple de l’activité ; le Tapuyo prit l’autre.

Le plan de fuite, conseillé par Munday, était de se tenir d’abord parallèlement à la ligne des arbres, et alors d’entrer sous leur ombre dès que le jour commencerait à poindre.

Munday et l’ex-mineur firent de leur mieux aux pagaies ; avant qu’on fût à un demi-mille du point de départ, Trevaniow regarda en arrière les feux flamboyants comme des phares qu’il fallait éviter.

On aurait pu croire que ceux qui avaient allumé ces feux voulaient incendier la forêt. Ils rayonnaient au milieu des arbres, envoyant au loin leurs reflets. Leur nombre s’était augmenté. Le Tapuyo fit connaître que chaque nouvelle lumière annonçait une nouvelle famille. Probablement on s’occupait de faire cuire le déjeuner.

Les aventuriers songèrent que, sans leur fuite et leur prévoyance, ils auraient pu être rôtis sur ces mêmes feux pour fournir un repas aux cannibales.

Il semblait que le ceiba n’avait jamais marché plus lentement ; malgré les vigoureux efforts de bras solides, le bois semblait à peine se mouvoir.

Il n’y avait pas de brise, et, quand elle soufflait un peu, c’était dans la mauvaise direction ; aussi la voile était-elle plutôt un obstacle ; ce que voyant Mozey, il lâcha les drisses et la baissa doucement.

Lorsqu’ils furent à un demi-mille du point de départ, ils reconnurent que le changement était amené par l’aurore apparaissant juste au-dessus du sommet des arbres. Ils étaient sur l’équateur même, où, entre l’aurore et le plein jour, il n’y a qu’un court intervalle de temps.

L’embarcation n’était encore qu’à un demi-mille de la lisière de la forêt submergée ; la lumière du soleil commençait à s’insinuer au-dessus de l’eau, et les feux devenaient plus pâles à son approche. Encore dix minutes, et le plein jour les atteignait.

Trevaniow et le Tapuyo travaillaient à leurs rames comme des hommes tremblant pour leur vie et pour celles de leurs compagnons.

On aurait pu croire que le soleil les favorisait ; pendant quelques secondes, il parut non seulement suspendre son lever, mais encore reculer son cours. Peut-être était-il caché par l’ombre des arbres sous lesquels ils se trouvaient maintenant ? En tout cas, le monguba était enveloppé par l’obscurité ; il venait d’entrer dans l’embouchure d’un igarapé.

L’endroit vers lequel nos aventuriers avaient ramé était une petite baie ombragée par des arbres, dont les rameaux feuillus se rencontraient aux sommets, formant comme l’entrée d’une caverne obscure, qui promettait une retraite bien cachée. Il faisait si sombre que les fugitfs n’auraient pu dire à quelle distance s’étendait la nappe d’eau. Dans cette incertitude, ils cessèrent de pagayer, et firent balte.

Sous cette arcade, ils n’avaient pas d’autre lumière que celle que répandaient les mouches à feu qui voltigeaient sous les arbres : mais celles-ci appartenaient à la grande espèce connue sous le nom de cocuyos (clater noctilucus). Une personne, tenant une de ces mouches au-dessus d’une feuille imprimée, peut lire parfaitement. Comme elles erraient en grande quantité, grâce aux lumières qu’elles jetaient, nos aventuriers purent juger bientôt que la baie était d’une étendue très limitée.

Graduellement, à mesure que le soleil s’élevait plus haut dans le ciel, sa lumière tomba doucement vacillante à travers les feuilles, et montra que décidément l’arcade était une impasse pénétrant seulement à une centaine de mètres dans le labyrinthe de branches et de plantes parasites. Les navigateurs ne pouvaient en sortir qu’en abandonnant le bois flottant, pour se réfugier de nouveau aux sommets des arbres, ou qu’en retournant en pleine eau sur la lagune.

Ni l’un ni l’autre de ces moyens ne leur convenait ; ils en avaient eu assez de voyager à travers les branches, et, quant à abandonner la petite embarcation qui les avait amenés là si confortablement, c’était une chose qu’ils n’admettaient pas.

Retourner en pleine eau, c’était se livrer à coup sûr aux sauvages, car le soleil brillait maintenant avec force sur la lagune ; ils ne pouvaient aller de ce côté sans se mettre en vue de la malocca. Or, les sauvages étaient pourvus de canots amarrés parmi les troncs d’arbres qui formaient les supports de leurs habitations aériennes.