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pieds au-dessus de l’eau, et que ces échafaudages étaient supportés par les troncs des arbres. Ils distinguèrent encore d’autres échafaudages semblables, sur lesquels aucun feu ne brillait, par cette raison probablement que les habitants n’étaient point encore levés. Autour des flammes, on voyait se mouvoir des formes humaines ; puis des hamacs étaient suspendus d’arbre en arbre, les uns vides, les autres occupés par des dormeurs. On entendait des voix d’hommes, de femmes et d’enfants.

Le Tapuyo, s’approchant de son jeune camarade, lui dit à l’oreille : « Une malocca. »

Richard savait que « malocca » est le nom général qu’on donne à un village d’indiens.

« Alors, s’écria-t-il, nous avons atteint la terre ferme ?

— Non.

— Mais un village ! Cela prouve pourtant que nous approchons de la terre sèche !

— Pas le moins du monde, jeune maître. Un village comme celui que nous voyons maintenant, prouve tout le contraire.

— En tout cas, c’est une bonne chance pour nous, n’est-ce pas, de tomber sur cette malocca suspendue entre ciel et terre ?

— Cela dépend de ceux qui l’habitent. IL se pourrait que nous fussions tombés sur une tribu de cannibales.

— Pensez-vous qu’il y ait des cannibales sur le gapo ?

— Assurément, jeune maître. Il y a dans le gapo des sauvages capables même de torturer avant de tuer, les Peaux-Blanches, particulièrement. Ils se rappellent, avec amertume, comment ils ont d’abord été forcés de fixer leur demeure au milieu des forets d’eau. Santo Dios ! Si ceci est une malocca de Muras, plus vite nous nous en éloignerons, mieux cela vaudra. On n’aurait pour vous, blancs, aucune miséricorde, et encore moins en aurait-on pour moi, quoique rouge comme eux. Nous, Mundrucus, nous sommes les ennemis mortels des Muras.

— Que faire ? demanda le jeune homme.

— Rester et écouter. Tenez, jeune maître, empoignez ce sipos, accrochez-vous-y, et ne soufflez mot ; laissez-moi saisir ce qu’ils disent. Je connais leur langue ; que je puisse entendre un mot, cela suffira. Chut ! »

Richard suivit ce conseil.

À peine l’Indien avait-il écouté deux minutes, qu’il tressaillit ; une expression d’inquiétude se répandit sur ses traits ; son compagnon l’aperçut à la faible lumière des feux éloignés.

« Comme je le supposais, murmura le Tapuyo après un instant, ce sont des Muras. Il faut nous éloigner sans perdre un instant. C’est tout ce que nous pourrons faire que de ramer assez vite pour cacher le bois flottant à leur vue avant le point du jour ; si nous n’y réussissons pas, nous sommes tous perdus ! »

Les nageurs s’éloignèrent des feux beaucoup plus vite qu’ils ne s’en étaient approchés, sans se reposer une minute avant d’avoir regagné le monguba.


CHAPITRE XVIII
Une retraite lente. — L’arcade. — Est-ce un homme ?


La nouvelle rapportée par le Tapuyo produisit, on le pense bien, une grande émotion. Trevaniow ne voulait pas croire à des hommes aussi sanguinaires ; il était prêt à taxer le rapport de l’Indien d’exagération. Le jeune Paranèse, qui, dans la maison de son père, avait entendu les propos d’un grand nombre de commerçants ayant voyagé dans l’Amazone, appuyait l’opinion du Munday. Il était bien connu des voyageurs, disait Richard, que des