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— Comment ! Vous croyez que nous pourrions trouver là des cannibales.

— Mais oui, patron.

— La Vierge nous protège ! » s’écria Tipperary Tom.

Richard, Ralph et la petite Rosita, qui venaient de s’éveiller en entendant le mot de cannibale, se mirent à pousser des cris de frayeur.

« C’est heureux, fit le Tapuyo en regardant autour de lui, que la brise soit tombée, autrement nous aurions pu être emportés trop près du rivage. Je vais nager vers ces lumières, je me rendrai compte do ce qui nous attend, avant que nous approchions trop près. Venez-vous avec moi, jeune maître ?

— Oh ! certainement, répliqua Richard.

— Eh bien ! continua le Tapuyo, vous autres, vous aurez soin de ne pas faire de bruit pendant que nous serons partis — nous ne sommes pas déjà si loin de ces feux — à un mille, pas davantage peut-être ; et l’eau porte le son très loin. Si ce sont des ennemis, et s’ils nous entendaient, nous perdrions toute chance de leur échapper. Venez, jeune maître, nous n’avons pas une minute à perdre. Voici Certainement le matin qui approche. Si nous voyons qu’il y a du danger, nous n’aurons que juste le temps de nous enfuir pendant l’obscurité. Et c’est notre seule espérance. Venez, suivez-moi. »

L’Indien, eu cessant de parler, se glissa doucement dans l’eau, et nagea vers les deux lumières, dont les rayons se distinguaient davantage à chaque minute.

« Ne vous effrayez pas, Rosita, avait dit Richard en quittant sa cousine. Je parierais que nous trouverons quelque plantation sur la rive, avec une maison, et des habitants blancs qui nous recevront bien et nous procureront un radeau pour nous emmener à Para. Au revoir donc ! Nous reviendrons bientôt avec de bonnes nouvelles. »

Les deux nageurs n’avaient fait que quelques centaines de mètres à travers l’eau, quand ils virent, à n’en pouvoir douter, que la forêt n’était pas éloignée d’eux, et se trouvait même beaucoup plus près qu’ils ne l’avaient cru du bois flottant.

Ils ne pouvaient que distinguer une ligne sombre, s’élevant au-dessus de la surface de l’eau et s’étendant à droite et à gauche à une assez grande distance ; ils distinguaient encore, dans les sons qui en venaient, le bourdonnement des grillons d’arbres et des cigales, le coassement des crapauds et des grenouilles, les cris des oiseaux aquatiques, les huées des chats-huants, les gémissements étranges des crapauds volants, dont plusieurs espèces habitent les forêts du gapo ; le « whip-poor-will » et le « willy-comego, » qui donnent carrière toute la nuit à leur mélodie monotone. Plus perçants que tous étaient les cris des singes hurleurs, entremêlés des plaintes mélancoliques de l’aï. Tous ces sons, et bien d’autres encore, formaient ce grand chœur de la nature qui remplit la forêt tropicale de sa musique nocturne. D’autres bruits encore plus lointains, qui arrivaient presque imperceptibles, prouvaient que le bois s’étendait bien au delà, au long de l’horizon.

Les deux nageurs ne s’occupaient que des lumières ; elles devenaient plus distinctes à mesure qu’ils avançaient. Sans nul doute, elles étaient causées par des feux ; il ne restait plus qu’à savoir par qui ces feux avaient été allumés et où ils se trouvaient.

Le jeune Paranèse supposa qu’ils étaient sur le bord de la lagune, et, bien entendu, sur terre. Son compagnon émit des doutes à ce sujet. Les feux ne semblaient point brûler tranquillement ; leurs disques apparaissaient tantôt plus grands, tantôt plus petits ; quelquefois ils s’éteignaient tour à tour et subitement, pour se rallumer de nouveau. Le jeune homme exprima son étonnement de cette intermittence que son compagnon expliqua aisément.

« Les feux, dit-il, se trouvent placés à quelque distance du bord de la forêt, et en arrière ; et ce sont quelques troncs d’arbres qui s’interposent de temps en temps qui produisent l’illusion. »

Les nageurs continuaient d’approcher, en se communiquant leurs impressions à voix basse. Bientôt ils pénétrèrent sous l’ombrage du feuillage épais, et virent alors les feux plus distinctement. Richard avait d’abord supposé qu’ils étaient allumés sur le bord de quelque éminence. En les examinant de plus près, il reconnut que leur lumière rouge, brillant en pente, tombait sur une surface d’eau qui scintillait en dessous : ils étaient, en quelque sorte, suspendus au-dessus de l’eau. En approchant encore, les yeux des deux nageurs, habitués maintenant aux reflets des flammes, découvrirent que les feux se trouvaient sur une espèce d’échafaudage élevé de plusieurs