Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/572

Cette page n’a pas encore été corrigée

long corps et sc diriger vers la forêt ; alors je me laissai glisser de ma perche et j’allai à la maison de mon père et de ma mère ; ils avaient été mangés avec les autres. Je quittai alors le kraal et j’allai à la mer : voilà pourquoi le noiraud se trouve hors de son pays. »

Malgré l’air sérieux avec lequel Mozey raconta son invraisemblable histoire, Tom ne parut pas lui accorder une foi implicite ; il avait pensé naturellement que le moricaud se moquait de lui, et, après quelques exclamations d’incrédulité, il conclut qu’il valait mieux garder le silence.

Quand la conversation fut reprise, elle roula sur un sujet tout différent.

Le pilote s’aperçut que l’étoile qui l’avait jusqu’alors guidé disparaissait, non parce qu’elle descendait au-dessous de l’horizon, mais parce que le ciel était couvert par une épaisse couche de nuages. Dix minutes après, il n’y avait plus une étoile visible, et le gouvernail aurait pu aussi bien être abandonné.

Tom, cependant, conserva sa pagaie, afin de maintenir le radeau ; la brise, comme avant, continuait de souffler dans la bonne direction. Environ une heure après, elle parut devoir céder ; en effet, la souche resta bientôt immobile sur la lagune. Devaient-ils éveiller les camarades pour leur communiquer cette déplaisante nouvelle ? Le nègre pensa que cela ne serait d’aucune utilité.

« Il vaut mieux, dit-il, leur laisser passer une bonne nuit, et puis, si le vent vient encore à s’élever, le radeau se remettra en marche sans eux. À quoi servirait-il de les troubler ? »

Tandis qu’ils discutaient cette question, des plaintes, semblables à un roulement lointain du vent, et mêlées aux cris des animaux de toute la forêt, attirèrent leur attention. Ces bruits leur arrivaient affaiblis, et formaient une espèce de bourdonnement.

« Qu’est-ce ue c’est que ça ! Pourriez-vous le dire, Mozey ? demanda Tipperary Tom.

— Cela ressemble beaucoup aux bruits de la grande forêt.

— Qu’entendez-vous par là.

— J’entends que cela ressemble aux cris des animaux qui vivent dans la forêt.

— Je crois que vous avez raison, camarade ! En ce cas, nous serions près de l’autre côté de la lagune, juste ce que nous désirions.

— Bonne nouvelle, alors ! Éveillerons-nous le maître pour la lui dire ?

— Non ; je pense qu’il vaut mieux les laisser dormir jusqu’au jour, qui n’est pas loin, d’ailleurs. J’ai idée que je vois les premières lueurs du matin là-bas, au fond du ciel.

— Ah ! qu’est-ce que j’aperçois, s’écria le nègre.

— Où cela ?

— En avant, là-bas ? C’est un feu, ou quelque chose qui brille comme du feu. Ne voyez-vous pas, massa Tom ?

— C’est vrai, je vois quelque chose qui brille…

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Trevaniow qui s’éveillait en ce moment et qui avait entendu la question du nègre.

— Ne voyez-vous pas un feu ?

— Oui, ou quelque chose qui y ressemble beaucoup, on dirait même qu’il y en a deux.

— Oui, oui, il y en a deux.

— Ah ! j’entends des sons.

— Oui, maître, il y a déjà longtemps que nous les entendons.

— Pourquoi ne nous avez-vous pas éveillés ? Nous aurions pu dériver de la lagune. Les sons viennent de la forêt. Munday ! Munday !

— Holà ! répondit l’Indien en se levant. Qu’y a-t-il, patron ? Quelque chose va de travers ?

— Non : au contraire, nous avons l’air d’approcher de l’autre côté de la lagune.

— Oui ! oui ! interrompit l’Indien dès que les bruits de la forêt eurent frappé ses oreilles. Terre ! Il y a de la lumière au milieu des arbres !

— Oui ; c’est ce que nous avons déjà reconnu.

— Ce sont des feux. Nous avons enfin atteint la terre !

— Dieu en soit remercié ! s’écria l’Indien avec respect, nos ennuis seront finis. Peut-être… murmura ensuite le Mundrucu, d’un accent qui décelait le doute et l’appréhension.

— Pourquoi peut-être, Munday ? demanda Trevaniow. Si ce sont des feux que nous voyons, sûrement ils sont sur le rivage, et allumés par des hommes. C’est qu’il y aurait là quelque établissement, et sans doute nous y trouverons les secours dont nous avons besoin.

— Ah, patron ! qui sait si ces hommes, au lieu d’être hospitaliers, n’auront pas la fantaisie de nous manger ?