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CHAPITRE XVII
Le diable des bois. — De la lumière à l’avant. — Un village aérien.


Réjouis par la pensée que la brise les emportait dans la bonne direction, nos aventuriers causèrent jusqu’à une heure assez avancée.

Lorsqu’enfin ils résolurent de prendre du repos, il fut décidé que deux d’entre eux veilleraient tour à tour, l’un pour la voile, l’autre pour manier la pagaie et maintenir, autant que possible, le radeau dans la bonne direction. Malgré tous les malheurs occasionnés par Tom, personne ne lui en gardait rancune : on savait que sa faute ne provenait que d’une erreur de jugement. Il avait assez souvent d’ailleurs exprimé sa tristesse pour ce qui était arrivé. Et puis n’avait-il pas subi les conséquences de son erreur comme les autres ? Le nègre même, qui avait hérité de l’antipathie de sa nation pour celle de Tom, était, depuis la catastrophe, dans les meilleurs termes avec l’Irlandais.

Cette nuit-là, ils étaient assis l’un à côté de l’autre comme deux frères de la même couleur ; tous les deux étaient fiers d’ètre laissés à eux-mêmes. Jusqu’alors ils n’avaient agi que sous la direction de l’Indien, et ils avaient ressenti quelque humiliation de lui devoir la vie, car sans lui ils périssaient noyés ; ils n’étaient point ingrats, mais chagrinés d’être regardés un peu comme des inutilités.

Cette nuit-là donc, Munday, fatigué par ses veilles continuelles, fut pressé par Trevaniow de retremper son énergie dans un bon repos. Comme il avait une raison particulière pour rester éveillé, il avait feint de consentir, et dans une altitude accroupie, le dos appuyé contre un des avancements du tronc d’arbre, il restait silencieux comme le sphinx.

Ni l’homme de Mozambique ni Tipperary Tom n’avaient des habitudes de silence, et ils continuèrent de converser longtemps après que les autres se furent endormis. Le thème de la conversation fut encore les serpents.

« Il y en a beaucoup dans votre pays, n’est-ce pas, Mozey ? demanda Tom.

— Oui, maître Tom, et les plus gros de l’espèce.

— Pas tant que celui que nous avons vu aujourd’hui.

— Comment ! vous appelez cela un grand serpent ? mais il n’avait pas plus de dix aunes de long. Nous en avons quelques-uns sur notre côte d’Afrique qui mesurent plus d’un mille, et qui sont plus épais que cette souche sur laquelle nous sommes assis.

— Plus d’un mille de long ? Vous moquez-vous de moi ? Vous ne voulez pas dire que vous avez vu un serpent de cette taille de vos propres yeux ?

— Si, massa Tom.

— Et aussi épais que cet arbre ?

— Mais je vous l’assure, massa. Le serpent dont je vous parle est assez long pour faire deux fois le tour d’un kraal.

— Qu’est-ce qu’un kraal ?

— L’endroit où nous, nègres, nous vivons ; ce que vous, blancs, vous appelez un village. Le village dont je parle, qui est entouré par le serpent, avait à peu près une centaine de maisons !

— Vous plaisantez, Mozey ! un serpent entourer cent maisons !

— C’est comme je vous le dis.

— Quand avez-vous vu cela ?

— Quand j’étais enfant. Si vous voulez, je vous raconterai l’histoire ; si je n’avais pas été un petit drôle des plus adroits, je ne serais pas maintenant ici, près de vous.

— Racontez, Mozey.

— Eh bien, massa, le kraal dont je parle était mon propre village. Je devais avoir vers