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que les voyageurs échapperaient encore à ce nouveau danger. À leur grande surprise, le reptile se retira tout à coup, avec une précipitation extraordinaire, et se jeta dans l’eau comme si rien n’était mauvais pour lui comme le tronc du ceiba.

La retraite du reptile s’accomplit à la grande joie de nos aventuriers. Le mystère de sa fuite, inexplicable pour le lecteur, n’avait rien d’étonnant pour eux.

Ils l’avaient vu ramper sur le reste des fagots enflammés, ils avaient entendu le frémissement de sa peau sur les charbons ardents, et ils virent que c’étaient les cendres en feu et les brûlures qui s’en étaient suivies qui avaient chassé le serpent. Ils ne redoutaient qu’une chose maintenant : son retour. Il suivit d’abord un sillage tortueux, mais, enfin, il prit tout à coup une course directe, comme résolu à quitter la lagune.

Ils continuèrent à le regarder s’éloigner pendant quelques instants, et ce ne fut qu’en le voyant un peu loin qu’ils commencèrent à se rassurer. Ils s’expliquèrent alors la présence de l’anacandaia sur le monguba. L’arbre était creux à l’intérieur, et, probablement, il s’était établi là pour s’assurer un paisible sommeil pendant la digestion d’un daim, d’un paca ou d’un capiva. Il vivait là peut-être depuis des jours et des semaines, et la souche, ballottée parle mouvement des flots, ne l’avait pas troublé. Ses premiers soupçons sur ce qui se passait dans son asile, avaient été causés par le feu que Munday avait allumé sur le foyer improvisé.

Le creux qui avait contenu les tocandeiras était une tout autre affaire. Les petits insectes évidemment et le grand reptile, bien qu’habitant sous le même toit, ne se connaissaient nullement.

Après le départ du reptile, la conversation tomba naturellement sur ses habitudes et ses particularités ; le radeau, poussé par une belle brise, marchait vivement, et nos aventuriers commençaient à épier à l’horizon la terre, ou du moins des sommets d’arbres.

Il ne devait pas pourtant s’en montrer ce jour-là ; et pendant que le soleil se couchait, la forêt qu’ils avaient laissée derrière eux disparaissait aussi.

Ils ne restèrent pas au calme comme la nuit précédente ; la brise continuait à être favorable, et comme ils avaient pour pilote un ciel étoilé, ils en profitèrent pour naviguer jusqu’au matin.

L’anacandaia continua de faire les frais de la conversation : le nègre et Munday rapportaient, au sujet du reptile, mille faits exagérés. Ce qu’il y a de certain, c’est que dans les rivières du sud de l’Amérique, il y a de ces reptiles ou « boas d’eau » qui ont trente pieds de longueur ; que ces monstres peuvent avaler des quadrupèdes de la taille du cheval et de la vache ; qu’ils ne sont pas venimeux, mais tuent leur proie par compression, s’enroulant autour d’elle, et l’étouffant par une forte et musculaire pression ; une fois gorgés, ils retournent à leur antre dans la forêt, s’endorment et restent longtemps dans une sorte de torpeur.

Il existe plusieurs espèces de ces serpents de l’Amérique tropicale ; on peut les classer en deux groupes bien distincts : les « boas » proprement appelés et les « boas d’eau » ou anacandaias. Les premiers sont terrestres et se trouvent sur les chemins secs ; les derniers, quoique ne vivant pas habituellement dans l’eau, ne sont jamais rencontrés là où les flots ne sont pas abondants. Ils nagent avec facilité ; ils sont aussi capables de monter aux arbres les plus élevés.