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mais nous n’avons pas d’arme ! Que faire, Munday ?

— Soyez tranquille, et pas de bruit ! murmura l’Indien. Peut-être restera-t-il à sa place jusqu’à ce que j’aie pu percer son cou de ma lance, et alors… Santo Dios ! trop tard ! Le voilà qui arrive sur la souche ! »

En effet, l’horrible créature était bien faite pour inspirer l’horreur qui régnait parmi nos aventuriers. Comme taille, on eût pu la comparer à une poutre énorme ; la sombre lumière qui brillait dans ses yeux, la langue fourchue qui s’avançait sur ses mâchoires, lui donnaient un aspect terrifiant. L’eau dont il sortait, ruisselant encore sur sa tête écailleuse, la faisait étinceler comme de l’acier : elle avait l’éclat du feu.

Nos aventuriers ayant fait retraite vers l’extrémité opposée du bois mort, se tenaient immobiles devant cette terrible tête qui s’avançait au-dessus de la souche, comme pour faire une reconnaissance.

Munday, le plus près, tenait à la main la lance de pashiuba ; Richard, armé du couteau de l’Indien, venait ensuite.

Tout à coup, une commotion eut lieu sur la souche et tous firent retraite vers l’autre extrémité, en voyant le serpent poser sa tête plate sur le bord, comme s’il se disposait à avancer vers eux. C’était en effet, son intention, et, un instant après, il se dirigeait vers ses ennemis, comme s’il ne doutait pas qu’ils ne dussent devenir autant de victimes.

Les yeux de nos aventuriers se reportaient tour à tour du serpent au Tapuyo. Ils voyaient que, tandis que l’un semblait décidé, l’autre restait irrésolu.

Munday ne paraissait avoir qu’une médiocre confiance dans la lance de pashiuba, qui n’était, en effet, qu’une arme bien faible pour recevoir l’attaque d’un pareil monstre.

Trevaniow proposa de se jeter à l’eau.

« Non, patron ! Tout, excepté ça, répondit l’Indien. C’est ce que le serpent désire ; car, une fois à l’eau, nous serions complètement à sa merci.

— Mais, est-ce que nous n’y sommes pas maintenant ?

— Pas encore ! pas encore ! » fut la réponse du Tapuyo.

Évidemment, il venait d’arrêter un plan de défense.

« Passez-moi ce singe ! » ajouta-t-il en s’adressant à ceux qui étaient derrière lui. Tipperary Tom, protecteur reconnu du coaïta, prit la requête comme s’adressant à lui et y accéda.

Ce ne fut que lorsque le Tapuyo s’avança avec l’animal dans ses bras vers l’extrémité de la souche, que le nègre comprit le but de l’Indien : le coïata devait servir à distraire l’attention de l’anacandaia.

En toute autre circonstance, Tipperary Tom n’eût pas consenti au sacrifice ; mais, voyant combien il était nécessaire au salut de tous, il n’intercéda point.

Munday, agissant comme grand-prêtre, avança le long de la souche vers le démon auquel l’oblation devait être faite, fit une pause, et alors jeta de toutes ses forces le pauvre singe au-devant du monstre : déjà ce dernier ouvrait ses mâchoires pour saisir sa proie, quand le singe, avec la promptitude particulière à cette espèce, ayant aperçu le danger, s’élança hors de l’atteinte de la langue fourchue qui s’avançait vers lui, et, d’un seul bond, se trouva en haut du mât, laissant Munday face à face avec l’anacandaia, qui, furieux d’avoir été trompé dans son attente, s’apprêta à se rejeter sur l’Indien.

Chagriné d’avoir échoué, et troublé par le danger qui le menaçait, le Tapuyo fit retraite en arrière. Dans son effarement, il marcha dans le feu encore fumant, sur le bois mort — ses pieds brûlés éparpillant les fagots pendant qu’il passait dessus. Il n’eut que le temps de se servir de la lance, le serpent était tout près de lui. Ses compagnons tremblèrent en voyant son incertitude et son effroi. Il ne semblait plus avoir sa tête à lui.

La dernière chance qui leur restait à tous, c’était de se jeter à l’eau ; mais ils se rappelèrent en même temps qu’ils ne pouvaient nager sans leurs ceintures : malheureusement, elles avaient été déposées dans l’arrière-pont de leur radeau, et ils ne pouvaient les atteindre sans passer sur le corps de l’anacandaia. Il fallait que quelqu’un fût victime… Lequel d’entre eux ?

Le jeune Richard semblait déterminé à se dévouer pour ses compagnons — peut-être songeait-il à la petite Rosita. — Il s’était mis en avant de tous — Munday même se trouvait protégé par lui. On aurait pu croire sa dernière heure venue ; car, comment pouvait-il espérer de lutter avec un simple couteau contre le monstrueux serpent ?

Mais il avait été décidé par la Providence