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quelques bouffées de veut promettaient une belle reprise pour la soirée.

Elle soufflait toujours dans la même direction, et elle était, par conséquent, favorable à la navigation du radeau, dont la voile épaisse se tendait déjà.

Les navigateurs étaient loin de se douter, à ce moment, que quelque chose de pire qu’un volcan sommeillait sous leurs pieds. Séparée d’eux seulement par quelques pouces d’épaisseur, par un bois à moitié pourri, se trouvait une créature d’une si monstrueuse taille et d’une forme si hideuse, qu’elle a inspiré de tout temps une perpétuelle crainte aux Indiens de l’Amazone de Para à Pera. Au moment où ils causaient gaiement de leur délivrance prochaine, le grand « mai d’agoa, » la mère des eaux, se tordait nonchalamment au-dessous d’eux, se préparant à sortir de la profonde caverne qui la cachait.

Le Tapuyo était assis près du feu, à nettoyer les os d’une piranha qu’il venait d’ôter de dessus le fourneau, quand tout à coup une partie des braises à demi brûlées disparurent, s’affaissant dans le bois, comme des cendres dans un fourneau dont la grille est défoncée.

« Ugh ! s’écria l’Indien en tressaillant, le creux a l’air d’être rongé jusqu’au fond. Je me demandais pourquoi le bois flottait si légèrement, humide comme il est.

— N’était-ce pas là que les tocandeiras avaient leur nid ? demanda Trevaniow.

— Non, patron. C’était dans une cavité de l’une des branches. Ceci est un creux dans le tronc principal. »

À ce moment, le coaïta, qui avait tout le temps été assis sur le plus haut point que le bois offrait pour perchoir, se mit à pousser une série de cris exprimant la plus vive inquiétude.

« Qu’a donc le singe ? » se demandait tout le monde, sans autre sentiment que de la curiosité.

Tipperary Tom fut le premier à vouloir s’assurer de la cause de l’émotion du coaïta ; il se dirigea vers son perchoir. Dès qu’il eut regardé du haut de ce point élevé, il poussa une exclamation de frayeur, puis il s’élança précipitamment vers l’endroit où il avait laissé ses compagnons.

L’Indien l’ayant imité, se sauva à son tour, en criant : « Santo Dios ! c’est l’esprit des eaux ! »

« L’esprit des eaux ! s’écria Trevaniow, se demandant ce que le Tapuyo voulait dire, et regardant avec surprise l’Indien et l’Irlandais qui tremblaient de frayeur.

— Le mai d’agoa ! telle fut la réponse du Mundrucu,

— Le mai d’agoa ! répéta le mineur, que voulez-vous dire, Munday ? »

Le vieil Indien fit un emphatique signe de tête sans répondre. Il semblait méditer sur les moyens de prévenir le danger qu’il redoutait.

« Qu’avez-vous vu, Tom ? continua Trevaniow s’adressant à l’Irlandais, dans l’espoir d’obtenir enfin une explication.

— Par saint Patrick, patron, je ne saurais vous dire au juste. J’ai vu quelque chose comme un cou et une tête qui me regardait de dedans l’eau ; j’ai encore vu deux yeux brillants comme des charbons allumés. Par Jésus ! c’est plutôt l’esprit des ténèbres.

— Le mai d’agoa, oncle, ajouta Richard à voix basse, la mère des eaux, n’est qu’une superstition des Indiens, fondée sur le grand serpent anacandaia ! C’est lui qui, sans doute, effraye Tom, je veux le voir par moi-même. »

Le jeune homme se dirigeait vers l’endroit si précipitamment abandonné par les deux hommes, lorsque l’Indien l’arrêta par le bras.

« Sur votre vie, jeune maître, n’allez pas là ! Restez où vous êtes. Je vous dis que c’est le mai d’agoa, l’esprit des eaux !

— Absurdités, Munday ! Ce que vous avez vu est un anacandaia. Laissez-moi le regarder. Je connais assez bien ces boas d’eau, j’en ai vu des centaines de fois sur les îles, à l’embouchure de l’Amazone. Je ne les crains pas ; ils ne sont pas venimeux ; et, à moins que ce ne soit un très grand de l’espèce, je vous répète qu’il n’y a pas du tout de danger. »

Arrivé à l’extrémité de la souche, Richard regarda, et aussitôt il poussa un cri de terreur et s’enfuit.

« C’est un anacandaia, et le plus grand que j’aie jamais vu ! dit-il lorsqu’il se retrouva au milieu du radeau ; il n’est pas étonnant, Munday, que vous l’ayez confondu avec le mai d’agoa. C’est une terrible créature.

— Est-ce que vous pensez qu’il y a du danger, cousin ? demanda Ralph, en voyant les signes d’appréhension du jeune Paranèse.

— J’espère que non, répondit Richard avec quelque hésitation. J’espère que nous pourrons le détruire avant qu’il nous attaque…