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nit d’une « montaria » (léger canot) et d’un harpon. Il rame vers l’endroit où la créature peut apparaître : c’est ordinairement quelque lagune solitaire ou une place hors du courant, où se trouve le gazon qui fait sa nourriture. L’ennemi, assis dans son canot, attend en silence l’approche des animaux qui arrivent d’ordinaire avec leurs petits. Il guette le moment où ils sont bien occupés à brouter pour s’approcher dans le plus grand silence, car ces mammifères sont extrêmement timides et méfiants. Lorsque l’homme du canot est arrivé assez près de ses victimes, il lance son harpon de toutes ses forces. Une ligne attachée au manche de l’arme empêche l’animal blessé de s’enfuir.

Cette chasse est très à la mode parmi les Indiens de l’Amazone.

C’est quand les eaux sont devenues basses et que les lagunes ou étangs permanents sont retournés à leurs limites ordinaires, que Je harponnage des vaches-poissons devient très profitable. Alors, les Indiens s’adonnent bien davantage à cette chasse. Quelquefois on découvre qu’une lagune est visitée par une bande de ces animaux, alors la malocca est abandonnée. Hommes, femmes, enfants et chiens, emportant avec eux des vases pour faire bouillir la graisse dont ils doivent tirer de l’huile qu’ils livreront au commerce, se dirigent vers l’endroit désigné, et alors commence une véritable boucherie.

Durant ces grandes pêches, il y a de grands festins et de nombreuses réjouissances. Comme le Mundrucu avait été présent à plus d’un pescado de la vache-poisson, il put rendre compte des scènes dont il avait été témoin. Ces récits furent écoutés avec la plus grande attention, jusqu’à l’heure de minuit où l’on songea à prendre du repos.

Au point du, jour tout le monde était debout sur le nouveau radeau ; et après le déjeuner, on essaya de mettre le bois à flot. Ceci n’était point facile à accomplir. La souche méritait bien d’être ainsi appelée, et bien qu’elle eût été autrefois un splendide cotonnier, couvert de gousses et s’élevant majestueusement au-dessus de ses confrères de la forêt, elle reposait maintenant aussi lourde que du plomb parmi les herbes aquatiques.

Vous vous imaginez les difficultés qu’il y aurait eu à remuer un si énorme bloc ; mais heureusement le couteau de Munday n’avait pas été inactif le jour précédent, et une paire de pagaies était résultée de son travail. Bien que grossièrement confectionnées, elles étaient excellentes pour le but qu’on se proposait, tandis qu’elles faisaient preuve en même temps d’une grande ingéniosité chez celui qui les avaient fabriquées. Elles avaient des manches de bois et des lames en os. Inutile de dire qu’on s’était procuré le bois parmi les sommets des arbres adjacents. Quant à l’os — deux pièces assez larges pour servir de pelles, — elles devaient avoir été prises au squelette de la vache. En effet, elles provenaient des omoplates que Munday avait soigneusement conservées avec la peau, tandis qu’il envoyait les restes de l’animal au fond du gapo.

Ce n’était pas la première fois qu’il avait vu employer utilement ces structures osseuses. Plus d’un champ de cacao et de mandioca avait été débarrassé par Munday de sa végétation superflue au moyen de la bêche confectionnée dans une omoplate de vache-poisson.

À l’aide de pagaies donc, on força la souche à faire du chemin sur l’eau. Les progrès furent nécessairement lents, à cause des entrelacements des longues tiges et des larges feuilles des lis aquatiques, mais, une fois hors de ces obstacles, on pouvait espérer d’avancer plus vite. En outre, on aperçut un léger bouillonnement sur l’eau, ce qui prouvait qu’une brise imperceptible s’était élevée de la lisière des arbres, et soufflait dans la bonne direction — c’est-à-dire vers la lagune. On supposera que le vent ne devait pas servir beaucoup avec un tel radeau privé non seulement de gouvernail, mais encore de voile.

C’est ce que pensaient nos aventuriers, à l’exception du vieux Tapuyo. L’Indien n’avait pas navigué sur le gapo pendant quarante ans sans apprendre à construire une voile, et s’il n’avait trouvé rien autre chose, il aurait suppléé à la voile qui manquait au moyen des larges feuilles qui croissaient au bord de l’eau, spécialement celles de la plante appelée miriti palm dont la forêt submergée abonde. Mais le hasard lui avait envoyé mieux.

La veille, ses compagnons lui avaient vu couper aux arbres deux longues perches, et les transporter à bord ; puis, creuser avec son couteau un trou profond dans le monguba, à son extrémité la plus épaisse. Ils s’étaient demandé dans quel but il avait si soigneusement conservé la peau de la « vache », mais le Tapuyo n’avait révélé à personne ses inten-