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vous donnant la fièvre. Vous irez au pas, monsieur, voilà la consigne ! Et maintenant, à cheval ! »

Tout le monde se mit en marche.

Une demi-heure plus tard, l’expédition avait déjà atteint la ceinture de vertes prairies qui commence à deux ou trois milles au nord-ouest du fort Lookout, pour s’étendre jusqu’aux mauvaises terres.

L’air était sec et pur, et d’une clarté admirable, ce qui rapprochait singulièrement tous les objets d’alentour, frais pourtant et piquant, car on était au milieu d’octobre, et il y avait déjà trois semaines que le détachement commandé par Van Dyck avait quitté le fort. Pendant tout ce temps, on n’avait pas aperçu un seul Indien à cent milles à la ronde, quoique des reconnaissances eussent été opérées chaque jour, et c’est ce qui avait enfin décidé le colonel à organiser la fameuse partie de chasse au buffle.

Toutes les dames et presque tous les officiers du fort étaient de la fête ; il n’était resté, avec le capitaine Stricker, commandant par intérim, que les lieutenants et sous-lieutenants strictement indispensables au service. Il y avait peu de monde en voiture ; la plupart des invités s’étaient procuré des chevaux.

Juliette Brinton, en sa qualité de fille unique d’un père opulent, avait pour monture un superbe pur sang, amené à grands frais d’Omaha expressément pour cette expédition. Quant à Nettie Dashwood, qui ne possédait pour tout équipage qu’une selle et une longue robe bleue, elle s’était longtemps vue menacée d’avoir à se contenter d’un cheval de dragon. Mais, par bonheur, au dernier moment, le capitaine Jim était arrivé à la rescousse.

« Petite fille, lui avait-il dit de sa grosse voix brusque, j’ai un poney qui n’a pas grande mine, mais qui va comme tous les diables. Si vous voulez l’essayer, je le mets à votre disposition, et je vous réponds que vous ne resterez pas en arrière. »

Nettie Dashwood, que la perspective de monter un grand cheval de soldat réjouissait modérément, avait accueilli cette offre avec reconnaissance, et c’est ainsi qu’elle se trouvait en selle sur un charmant poney blanc plein d’ardeur et de feu.

L’étape de quatorze milles fut rapidement enlevée, et il n’était pas plus de deux heures quand le signal de la halte fut donné dans une petite vallée, tapissée d’un fin gazon, auprès d’une suite de petites mares d’eau laissées par les dernières pluies.

Tout le pays environnant répondait bien à ce qu’un Européen ou un habitant des États de l’Est imagine que doit être la prairie américaine : à perte de vue, un océan d’herbe frissonnant sous la brise et présentant une succession sans fin d’ondulations et de creux pareils à des vagues.

« Voilà ce que j’appelle une vraie prairie ! s’écria Nettie.

— Est-ce que nous allons camper ? demanda sa cousine Juliette.

— Oui, mademoiselle, dit l’adjudant Peyton ; les fourgons ont ordre de s’arrêter là, devant cette mare, et c’est ici que le goûter sera servi. Nous sommes maintenant à un mille au plus du grand chemin des buffles.

— Oh ! comme j’aimerais le voir ! s’écria Nettie. Est-ce que nous n’aurions pas le temps avant que le camp ne soit établi ?

— Parfaitement, répondit le capitaine Jim. C’est l’affaire d’une demi-heure au plus. Miss Juliette Brinton, et vous, Peyton, voulez-vous être de l’expédition ? »

Sur un signe d’assentiment, le capitaine Jim montra le chemin, et les deux jeunes filles, escortées de M. Peyton, se dirigèrent à sa suite vers la ligne de monticules qui fermait la vallée du côté du nord. Bientôt ils eurent perdu de vue les autres chasseurs.

À ce moment, les chevaux commençaient à gravir un monticule assez élevé, et le capitaine, s’arrêtant court, dit à la jeune fille :

« Il peut y avoir des buffles sur l’autre versant. Laissez-moi monter seul… Vous chargez-vous de tenir la bride de mon cheval ?

— Très volontiers. »

Jim mit pied à terre et, sa longue-vue à la main, monta à pied jusqu’au sommet de la hauteur. En y arrivant il eut soin de se coucher dans l’herbe et d’inspecter le pays d’alentour sans se montrer, en glissant sa lunette entre deux touffes de gazon.

Presque aussitôt on le vit la refermer et redescendre vivement.

« Il faut immédiatement retourner au camp ! dit-il à ses compagnons d’aventure en les rejoignant. Il y a des Indiens par là !… »

À cette nouvelle inattendue, Juliette Brinton devint si pâle qu’elle semblait sur le point de tomber sans connaissance. Quant à