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à bout du talmandua, mais ils se trompaient. L’animal, cerné sur son arbre, se mit à gagner les plus hautes branches ; Munday le poursuivit vivement, et arriva à temps pour le saisir par les deux jambes de derrière. Le talmandua possédait, dans ses membres et dans sa queue, une force que ses ennemis ignoraient.

Malgré tous ses efforts, le Tapuyo ne put arriver à détacher les jambes de la branche à laquelle elles s’étaient cramponnées. Pour défaire le nœud gordien formé par la queue enroulée autour de l’arbre, Munday dut la couper avec son fameux couteau ; alors il tourna autour de son poignet ce qui restait de l’appendice, puis, tirant de toute sa force, il attira ainsi à lui l’animal en le frappant si vivement contre l’arbre, qu’il l’amena enfin, à bout de résistance et aussi sans vie.

Le vieil Indien et le jeune Richard se jetèrent ensuite à l’eau et se remirent à nager vers le bois mort ; puis ils appelèrent leurs compagnons, en les engageant à les imiter.

La souche était désormais débarrassée. Dès que nos aventuriers en eurent pris possession, ils ne songèrent plus qu’à s’y établir commodément pour dormir ; reposer sur une place horizontale leur semblait un luxe si grand, après avoir si longtemps perché, qu’il leur tardait d’en jouir. Le bois présentait assez de largeur pour qu’ils pussent s’y étendre tous.

Un seul, le vieil Indien, n’imita pas leur empressement, engagé qu’il était dans une opération qui réclamait toute son énergie : dans le tronc du monguba, à une place où l’écorce était sèche, il avait découvert une petite cavité de forme circulaire, près de laquelle il avait placé quelques feuilles mortes et quelques rameaux secs, tombés d’un arbre qui étendait ses branches près de là. Il était agenouillé sur cette cavité, sa poitrine se trouvant directement au-dessus.

Il tenait entre les paumes de ses mains un bâton droit et uni, taillé dans un bois dur, qu’il balançait horizontalement, de manière à produire un mouvement rotatoire très rapide, en changeant de direction par intervalles.

Au bout de dix minutes une fumée commença à s’élever de la cavité dans laquelle le bout du bâton tournait, et presque aussitôt elle fut suivie d’étincelles qui s’envolèrent avec la poussière produite par les frottements.

Les étincelles devenant de plus en plus pressées finirent par produire une faible flamme ; alors l’opérateur, abandonnant son bâton, s’empressa de couvrir le trou avec les feuilles sèches et les brindilles, et, soufflant dessus doucement, fut bientôt réjoui par la vue d’un feu fort vif ; aussitôt le Tapuyo, impatient cuisinier, sans prendre la peine de dresser son gibier, l’étendit sur le feu où il fut libre de griller dans sa peau.

Il s’agissait ensuite de prendre des mesures pour empêcher la flamme de s’étendre. Le bois mort, autour de la place où il avait établi son fourneau, était aussi sec que de l’amadou. Ôtant la chemise de coton qui ne l’avait pas abandonné malgré tant de vicissitudes, il la trempa dans l’eau à plusieurs reprises. Quand elle eut été bien imbibée, il la roula et forma avec le linge mouillé un cercle autour du feu. S’étant ainsi préservé contre les dangers de l’incendie, il s’assit sur ses jarrets et surveilla son rôti, qu’il ne retira qu’après s’être assuré qu’il était cuit à point.

Alors il tira ses compagnons de leur torpeur, en leur annonçant que le dîner était servi. Le fumet savoureux répandu dans l’air épargna à l’Indien l’ennui de répéter son invitation. Au bout de quelques minutes, il ne restait plus du talmandua que des os bien nettoyés.

Lorsque les convives eurent fini de dîner, le soleil était si près de se coucher, qu’ils se demandèrent s’ils ne feraient pas mieux de rester inactifs le reste du jour, pour se mettre à l’ouvrage de bonne heure le lendemain matin.

Le somme qu’ils avaient fait pendant que Munday se livrait à ses opérations culinaires, ne les avait pas suffisamment réconfortés ; il fut décidé qu’on se reposerait.

Il s’agissait, comme on a dû le pressentir, de transformer le bois mort en radeau, afin de naviguer sur la lagune.

Mais comment se procurer des rames et des pagaies ? Telle était la question qu’on s’adressait avec inquiétude. Munday assura que les difficultés n’étaient point insurmontables, et qu’on pourrait y aviser le lendemain.

On dormait depuis une heure à peine, lorsque le coaïta, qui avait rejoint ses maîtres sur la souche, se mit à gémir et à trembler au point de réveiller Tipperary Tom qui était couché près de lui.

« Qu’y a-t-il ? » demanda Tom à son favori. L’animal ne répondit pas, bien entendu, mais il continua de trembler de tous ses membres.