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L’Indien qui rencontre deux larges colonnes de ces insectes les signale à ses compagnons en leur criant : Tanôca ! Pas une espèce ne paraissait si intéressante au Mundrucu que celle qu’on nomme « tocandeira ». Il avait porté les fameuses mitaines, et elles semblaient lui avoir laissé de profonds souvenirs.

Nos voyageurs se réveillèrent au point du jour, et, après s’être rafraîchis avec un peu de fromage, qui n’était autre que le lait coagulé du massaranduba conservé dans des cosses de sapuçaya, ils tournèrent de nouveau leur attention sur le tronc flottant.

À leur grande surprise, ils ne le retrouvèrent plus où ils l’avaient laissé.

Lorsque le brouillard qui planait sur l’eau se fut dissipé sous les premiers rayons de soleil, la lagune se trouva suffisamment éclairée pour permettre de distinguer un sombre objet, aussi large que la tête d’un homme, à une distance d’environ un mille. Le monguba avait été laissé à peine à une centaine de mètres de leur gîte de la nuit. Où était-il maintenant ?

« Là-bas ! dit Munday en réplique à la question que tous faisaient en même temps. Plus loin, là-bas, le bois mort, dans les arbres. Vous le voyez, patron ?

— Oh ! s’écria Trevaniow, certainement ; mais comment la bûche a-t-elle pu aller là-bas ?

— C’est peut-être le courant qui l’a emportée, remarqua Richard.

— Non, maître, reprit le Tapuyo. Il n’y a pas de courant ; seulement, en battant l’eau, nous avons dérangé le bois mort de son amarre parmi les piosocas, il y a eu un peu de brise cette nuit, et c’est ce qui l’a amené là. Il est maintenant à l’ancre contre l’arbre. Je ne serais pas étonné si les fourmis essayaient de déguerpir et profitaient des branches qui s’étendent au-dessus de leur établissement.

— Pourquoi pensez-vous cela ?

— Parce que le monguba mort n’est pas leur maison naturelle, ni le gapo leur demeure habituelle. Les tocandeiras appartiennent à la terre ferme, et je ne puis m’expliquer leur présence là que d’une seule manière : elles devaient avoir leur malocca dans le creux de la souche quand elle reposait sur la terre ferme ; l’échenté l’a mise à flot, et le flux du courant les a emportées ainsi loin de leur pays. Il y a d’autres espèces de fourmis qui habitent sur le gapo parmi les arbres, mais ce ne sont pas les tocandeiras. »

En regardant du côté du bois flottant, nos aventuriers virent que les tocandeiras l’occupaient toujours. Ils se mouvaient sur sa surface, dans leur uniforme rouge, et paraissaient aussi émus que lorsque les nageurs avaient envahi leur territoire.

Le Tapuyo découvrit bientôt les causes de l’agitation des insectes, agitation qui, selon toute probabilité, avait duré toute la nuit. La souche, bien que très rapprochée du tronc de l’arbre vivant, ne se trouvait pas en juxtaposition avec lui, quelque chose les séparait. Il y avait entre eux un espace de plusieurs pieds, et, comme quelques-unes des branches ne descendaient qu’à peine jusqu’au bois mort, il était impossible aux insectes de se transporter jusqu’à l’arbre sans voler ou sans plonger dans l’eau : alternatives qui n’étaient ni l’une ni l’autre en leur pouvoir. Ils désiraient évidemment opérer le changement de domicile qui devait les mettre à l’abri des vagues et des flots.

Nos aventuriers continuèrent à surveiller ce spectacle, dans l’espoir que les innombrables hôtes rouges du bois mort, ayant trouvé quelque moyen pour effectuer leur départ, les en laisseraient enfin seuls et libres possesseurs.

Tout à coup les spectateurs remarquèrent un mouvement entre les branches de l’arbre, où ils espéraient voir les tocandeiras prendre refuge, et, presque aussitôt, une singulière créature fit son apparition.

C’était un quadrupède de la taille d’un chat mais d’une forme sui generis. Son corps long et cylindrique se terminait postérieurement par une queue en trompette, effilée au bout. La partie antérieure était ornée d’une tète plate et basse, se prolongeant en un museau mince et pointu.

Les yeux étaient si petits qu’à peine les distinguait-on. La bouche ressemblait plutôt à un orifice rond qu’à la fermeture d’une paire de mâchoires.

Cet animal avait une espèce de fourrure soyeuse, légèrement crispée, de manière à lui donner un aspect laineux. Cette fourrure, couleur de paille, était d’une teinte marron foncé sur les épaules et le long du dos. La queue bouclée offrait un mélange de deux couleurs.