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Ainsi accoutré et accompagné d’une foule jouant de trompettes, tambours, et autres instruments musicaux en usage parmi les Indiens, le candidat à la dignité d’homme doit faire le tour de la malocca ou village, en se présentant devant chaque hutte et en dansant une gigue à chaque halte. Pendant tout ce temps, il doit afficher la plus grande joie, chanter les choses les plus gaies, et assez haut pour dominer le bruit des instruments de musique et les cris de la foule qui le suit.

Celui qui refuse de se soumettre à cette épreuve, ou qui montre des signes de faiblesse est un homme perdu. Il est condamné pour toujours au mépris de sa tribu, et pas une fille ne consentirait à en faire son fiancé ; sa famille se regarderait aussi comme déshonorée.

Stimulé par ces pensées, le jeune homme tente l’épreuve, tandis que ses amis et ses parents l’encouragent de leurs cris.

Il passe ses mains dans les terribles gantelets, où elles doivent rester emprisonnées jusqu’à la fin de la cérémonie. Il souffre cruellement, ses mains et ses poignets brûlent comme s’ils étaient la proie du feu. Le poison des insectes entre dans ses veines, ses yeux sont enflammés, la sueur perle sur sa peau, sa poitrine est haletante, ses lèvres deviennent blanches, et il ne doit pas laisser échapper une plainte, une marque de souffrance ; sans cela, honte à lui ! il ne sera jamais un brave, il ne sera pas digne de combattre pour sa tribu.

Enfin il est debout, en présence du « tuchao » assis pour le recevoir.

La cérémonie est répétée devant le chef avec une nouvelle vigueur. Les chants de l’initié s’élèvent plus bruyants que jamais, jusqu’à ce qu’ils cessent par manque de force.

Alors les gantelets sont ôtés, et il tombe dans les bras de ses amis. Il est ensuite entouré par les jeunes filles de la tribu qui le comblent de félicitations.

Ses souffrances l’empêchent d’apprécier leurs gracieusetés ; il se précipite vers la rivière, où il plonge son corps enfiévré. Après être resté suffisamment dans l’eau pour se rafraîchir et calmer ses blessures, il se rend de nouveau à la malocca, où il reçoit de nouvelles marques d’estime.

Il s’est montré digne de passer parmi les guerriers ; il peut dorénavant aspirer à la main d’une fille mundrucu, et à la gloire d’augmenter le nombre des hideux trophées qui ornent la salle de conseil de la tribu, et qui ont fait décerner à ces Indiens le surnom distinctif de decapitadores : décapiteurs.

La conversation continua entre les naufragés non seulement sur les tocandeiras, mais encore sur les différentes espèces de fourmis que l’on rencontre dans les forêts et les campos de la vallée de l’Amazone.

Le vieux Mundrucu en connaissait une vingtaine d’espèces, différant toutes les unes des autres, autant par la forme, la couleur et les signes particuliers que par les habitudes. L’entomologiste qui voudrait faire une étude sur la famille des fourmis serait servi à souhait dans la forêt Amazone. Les unes habitent sur la terre, les autres dessous ; une troisième espèce, presque aérienne, bâtit ses nids parmi les branches les plus élevées. Elles sont aussi variées dans leur nourriture, il y a des carnivores et des herbivores.

De toutes les espèces de fourmis de l’Amérique du Sud, pas une ne surprend peut-être l’étranger plus que le saüba. En passant dans une partie de forêt, ou de terre labourée, le voyageur traverse toute une surface jonchée de feuilles vertes ayant à peu près la grandeur d’une pièce de deux sous, toutes en mouvement.

En examinant ces feuilles de plus près, il découvrira que chacune est portée sur les épaules d’un petit insecte beaucoup moins gros que son fardeau. En continuant sa marche, il arrivera à un arbre où des milliers d’insectes sont à l’ouvrage, coupant les feuilles en morceaux de la grandeur convenable, qu’ils jettent ensuite à des milliers d’autres insectes qui s’en saisissent et les emportent. Un examen attentif lui montrera ensuite que cette besogne est faite dans un ordre systématique.

Les feuilles ainsi transportées ne sont point destinées à servir de nourriture, mais seulement à faire du chaume pour couvrir les galeries et les passages à travers lesquels passe une multitude de ces innombrables insectes. En continuant son excursion, l’observateur rencontrera des fourmis différant essentiellement des saübas, comme sont les écitons, ou « fourrageurs », qui au lieu de se contenter de la luxuriante végétation des tropiques, se nourrissent sur les colonies de leur propre genre.

Le géant de l’espèce est l’éciton arpax, qui poursuit d’habitude les simples fourmis.