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CHAPITRE XIII
Cinq hommes pris de fièvre. — Le festival des tocandeiras. — Encore les fourmis. — Le talmandua — Le talmandua surpris. — Les grives à fourmis.


Au moment où les congratulations s’échangeaient, la voix de Tipperary Tom tout à coup devint plaintive comme celle d’un homme assailli par une sensation désagréable.

L’Irlandais avait été piqué par les tocandeiras ! Une cinquantaine de ces insectes s’étaient attachés à sa peau ; mais ses camarades étaient trop occupés d’eux-mêmes pour songer à le plaindre, envahis qu’ils étaient aussi par les cruelles fourmis. Les mains cessèrent aussitôt de battre l’eau, chacun ne songeant plus qu’à nager hors de l’endroit dangereux, et ils s’éloignèrent, emportant la petite Rosita, aussi loin qu’ils purent, vers les sommets des arbres.

Ils choisirent un arbre qui pût être aisément escaladé, et s’assirent parmi ses branches aussi confortablement que possible.

La position qu’ils avaient choisie ne pouvait être que temporaire ; un repos, pendant lequel ils réfléchiraient aux moyens de chasser leurs ennemis.

Mais, en s’apercevant que le soleil était déjà près de se coucher, ils résolurent de passer toute la nuit sur l’arbre : l’entrelacement de sipos et déplantés parasites offrait, après tout, des hamacs supportables ; il était heureux qu’ils eussent trouvé ce refuge, et aussi que Munday, moins maltraité que les autres par les cruels insectes, put préparer « leurs lits ». Vingt minutes après leur ascension, nos aventuriers, à l’exception de Munday et de Rosa, étaient en proie à une véritable fièvre.

Les blessures infligées par les fourmis à feu sont cruelles, leurs morsures ressemblent à celles du scorpion. Ce ne fut que lorsqu’une fraîche brise eût soufflé sur la lagune, et après plusieurs heures, que les souffrances des blessés se calmèrent. Étendus sur leur couche aérienne, ils écoutèrent les récits de Munday sur les singulières coutumes de sa tribu, connues sous le nom de « fêtes des tocandeiras. »

Quand un jeune homme de la nation Mundrucu, ou de sa parente, la tribu Maheïe, a atteint l’âge de virilité, il se soumet généralement à une épreuve que l’on pourrait qualifier « d’épreuve du feu », surtout lorsque le jeune homme se destine à devenir un guerrier ou à occuper un poste distingué dans la tribu.

Celle épreuve est volontaire, mais le jeune Mundrucu qui ne s’y soumettrait pas se vouerait à une existence sinon déshonorée, du moins sans gloire, et, s’il n’était pas précisément méprisé des filles de la malocca, il devrait, certainement, perdre l’espoir de captiver leurs cœurs.

Il est connu de mes jeunes lecteurs qu’une coutume en usage parmi plusieurs tribus des Indiens du nord de l’Amérique, est celle qui soumet leurs jeunes hommes aspirant au titre de « braves » à des épreuves de courage et d’insensibilité telles qu’elles sembleraient incroyables à ceux qui ne connaissent pas le caractère indien.

Voici l’épreuve en usage chez les Mundrucus, d’après les détails donnés par Munday.

Lorsqu’un jeune homme se déclare prêt à « mettre les gants », on lui en prépare une paire. Ils sont faits de l’écorce d’une espèce de palmier, et ne sont autre chose d’ailleurs qu’une sorte de long cylindre creux, fermé à l’un des bouts, et assez large pour admettre la main et le bras jusqu’à l’épaule.

Avant d’être passés par le patient, ces gants sont à moitié remplis de fourmis de l’espèce la plus venimeuse et la plus cruelle, principalement des tocandeiras, d’où la cérémonie tire son nom.