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eu serait la conséquence ? Le tronc brûlerait avec les fourmis, et alors, quel avantage en retirerions-nous ?

— Eh bien ! si vous pensez que le feu ne puisse faire notre affaire, que dites-vous de l’eau ? Il nous faut essayer de les noyer ; Munday assure qu’elles ne peuvent pas nager, et alors, bien sur, elles iront au fond de l’eau.

— Mais comment les noyer ? reprit Trevaniow.

— Rien de plus aisé. Nous n’avons qu’à faire rouler le tronc et à le mettre sens dessus dessous. »

Les nageurs, trouvant l’idée assez rationnelle, s’avancèrent, et se mirent en devoir de tourner le bloc de bois.

Mais leur tentative ne fut pas heureuse, en partie à cause de l’énorme poids de l’arbre mort, imprégné encore d’une forte quantité d’eau, et en partie à cause des grosses boutées, agissant comme aiguilles de carène. Ils ne purent que faire tourner la onzième partie de sa circonférence. Les mains et les épaules se mirent à l’œuvre, et répétèrent plusieurs fois leurs efforts. À chaque nouvel essai, le tronc paraissait devoir s’incliner davantage, puis il reprenait son ancienne pose.

L’entreprise semblait définitivement impossible et ils allaient discontinuer leurs efforts, quand un cri leur conseilla de ne pas tarder d’une seconde. Il était poussé par Tipperary Tom, qui s’éloignait précipitamment du tronc, comme si un danger des plus effrayants venait de surgir tout à coup. Et il y avait plus que de la frayeur dans ce cri, on y sentait la douleur.

Mais à peine commençaient-ils à accabler leur camarade de questions, que tous poussaient des exclamations semblables, chacun jugeant, au même instant, sur lui-même quelle était la cause de la douleur de Tipperary Tom. Pendant qu’on essayait d’incliner le bloc de bois, quelques vingtaine, de fourmis s’en étaient détachées, et fondant au milieu des nageurs, avaient préféré s’accrocher à leur peau que de s’enfoncer sous l’eau. Au lieu de témoigner leur gratitude pour ce répit temporaire à la fin tragique qui les menaçait, les misérables insectes enfoncèrent leurs serres empoisonnées dans la chair des intrus, comme s’ils voulaient se venger d’eux.

Du coté des nageurs, il y eut une grande confusion ; ils se dispersèrent d’un côté et d’autre, plongeant dans l’eau à plusieurs reprises avec fureur ; enfin, au bout de quelques minutes, où les ongles déchirèrent la peau, leur attention se dirigea de nouveau vers le monguba, avec la volonté bien arrêtée d’en chasser leurs ennemis.

Pendant quelque temps, les esprits furent justement préoccupés des moyens à prendre pour expulser les tocandeiras de la citadelle flottante dont ils s’étaient emparés. Enfin ils convinrent de nager vers la lisière de la forêt et d’y délibérer, après avoir établi leur demeure sur quelque branche.

Comme les arbres ne se trouvaient pas fort éloignés, ce plan ne présentait aucun inconvénient.

Tipperary Tom fut encore le premier à suggérer son idée.

« Si nous ne pouvons les renvoyer de la bûche, au moins pouvons-nous les noyer dessus. Sûrement, c’est possible, maître ?

— Vous voulez dire qu’on peut leur jeter de l’eau, et ainsi les entraîner au fond ? demanda Richard.

— Oui, maître.

— L’idée n’est pas mauvaise ; nous pouvons en essayer. À l’ouvrage ! Entourons le tronc de tous les côtés. Vous, Rosa, enfant, tenez-vous ici. Trois de nous iront de l’autre côté, trois resteront ici, et dès que nous serons en place, commençons tous ensemble l’attaque. »

La sombre couleur qui avait caractérisé le tronc lorsqu’on l’avait aperçu pour la première fois était maintenant devenu d’un rouge foncé. On aurait dit que des ruisseaux de sang coulaient en sens divers sur le bois,

À un mot de Trevaniow, les six assaillants commencèrent à battre l’eau avec les paumes de leurs mains, jusqu’à ce que le tronc en fût inondé. L’eau retombait en pluie sur le bois, envoyant tout autour d’eux une écume blanche, comme celle que produisent les torrents. Les tocandeiras ne purent résister à une telle avalanche, et bientôt ils se virent balayés de leur asile du manguba.

Les assaillants, voyant leur succès, s’en réjouirent nécessairement ; les cris de triomphe de Tippcray Tom résonnaient plus haut que ceux des autres, fier qu’il ôtait d’avoir suggéré une ingénieuse idée. Il reçut d’ailleurs les félicitations de ses camarades.