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« Eh bien donc, monsieur, s’écria-t-il, qu’il soit fait comme vous le désirez ; c’est de la folie, mais c’est de la folie qui me plaît. »

Son attitude et sa physionomie étaient si différentes de ce qu’elles étaient tout à l’heure, que le sous-lieutenant s’écria à l’instant :

« Pardonnez-moi de vous le dire si je me trompe, monsieur, mais vous n’êtes pas, non, vous ne pouvez pas être un clergyman !

— Vous avez raison, répondit Meagher, jetant décidément le masque, je suis le correspondant spécial du Herald, pour vous servir, monsieur, et l’admirateur sincère de votre témérité.

En disant ces mots, il présentait, sa main au jeune sous-lieutenant, qui la serra avec effusion.

« Avez-vous eu le moindre soupçon de ma qualité réelle avant que je me sois découvert à vous ? demandait le correspondant à son nouvel ami, quelques instants plus tard.

— Ma foi non ; vous jouez admirablement votre rôle.

— Que voulez-vous ? Il faut être un peu propre à tout pour attraper des nouvelles fraîches. Ceci, direz-vous, passe la mesure. Mais je me suis mis dans la tête de donner au Herald un compte rendu in extenso de ce qui va se passer au grand conseil des Sioux, et j’y arriverai ou j’y perdrai ma peau !

— Vous verrez que nous réussirons, et que nous n’y perdrons rien, dit Frank avec enthousiasme.

— Oui, nous réussirons, je le sens, et mes pressentiments ne me trompent jamais… Mais je suppose qu’une grillade de buffle ne vous fera pas peur, n’est-ce pas ? »

Charley et Beau Bill se mirent immédiatement à l’œuvre, et, un quart d’heure plus tard, l’amitié était définitivement scellée entre les deux jeunes gens, autour d’un splendide beefsteak.


CHAPITRE IX
À LA CHASSE AU BUFFLE

L’enceinte du fort Lookout était, ce jour-là, remplie d’animation et de mouvement, de couleurs vives et de fanfares. La musique du 12e dragons exécutait ses morceaux les plus brillants, la porte du fort était bordée de chars à bancs et de fourgons, le champ de manœuvre tout couvert de cavaliers et d’amazones. Parmi les premiers, les officiers en petite tenue étaient les plus nombreux ; mais il y avait aussi une vingtaine d’invités civils, pour la plupart montés sur des poneys indiens et armés jusqu’aux dents de fusils et de revolvers. Le juge Brinton, notamment, vêtu de gris et guêtré jusqu’aux genoux, avait l’air d’un chasseur fini. Quant au colonel Saint-Aure, il avait remplacé son uniforme par un costume de peau de daim, et donnait ses derniers ordres pour la disposition de ses invités.

« Monsieur Brinton, je vous ai réservé une place auprès de mistress Saint-Aure et de mistress Peyton dans mon char à bancs. Vous ferez bien de vous mettre en voiture, car il faut partir. Nous avons quatorze milles à faire avant d’arriver au pays des buffles. Et M. Hewitt, où est-il ? »

Le sous-lieutenant arrivait à cheval, encore pâle, le bras en écharpe. Son ennemi Tatouka n’avait point été retrouvé, quoiqu’on eût suivi sa trace jusqu’au désert du Petit Missouri.

« Monsieur Hewitt, reprit le colonel en souriant, je vous charge expressément d’escorter le fourgon aux provisions. Vous comprenez qu’il ne s’agit pas de faire honte au traitement du docteur Slocum en vous fatiguant et en