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boutées un espace que l’on pourrait comparer à une stalle d’écurie. Souvent ces cloisons s’étendent le long de la souche jusqu’à une longueur de cinquante pieds.

Le « cotonnier à laine » (populus angulata) et le cyprès du Mississipi (toxodium distichum) offrent aussi cette singularité.

Malgré leur inutilité commerciale, il y a peu d’arbres des forets de l’Amérique du Sud plus intéressants que le monguba. L’énorme grandeur du tronc, les excroissances étranges qui en sortent, l’écorce d’un gris vert, l’immense hauteur des branches, fournies d’un luxuriant amas de feuilles verdoyantes, le rendent remarquable, même dans ce royaume végétal où abondent les types les plus singuliers et les plus variés.

C’était sur le tronc d’un géant de cette espèce, depuis longtemps dépouillé de ses feuilles, et même de ses branches, que les nageurs fatigués avaient trouvé enfin un lieu de repos.

Jamais cependant voyageurs ne déménagèrent plus vite de chez une hôtesse inhospitalière que Trevaniow et ses compagnons de la souche flottante sur laquelle ils venaient de s’installer.

Pour quelle raison abandonnaient-ils un refuge qu’ils avaient été si heureux de rencontrer, comme s’ils l’avaient trouvé occupé par une bande de terribles boucaniers ? Un insecte pas plus gros qu’une fourmi était cause de cette fuite précipitée.

À peine s’étaient-ils établis sur le tronc flottant, qu’ils se mirent à examiner leur nouveau gîte. Trevaniow voulait savoir s’il était possible de le convertir en une embarcation navigable, soit avec des voiles — entreprise difficile — soit avec des rames, prétention plus réalisable.

« Les tocandeiras ! les tocandeiras ! » s’écria tout à coup l’Indien d’une voix qui exprimait la frayeur ; et aussitôt tous ses compagnons semblèrent en proie au même sentiment. Ils regardèrent dans la direction où s’était portée l’attention de leur guide, et s’aperçurent qu’à l’autre extrémité de l’arbre, dans une espèce de creux entre les deux grandes boutées, l’écorce avait soudain changé d’aspect. Elle était devenue d’un rouge sanguin, et semblait toute frémissante.

« Les tocandeiras ! répéta Munday en désignant cet endroit de l’écorce.

— Voulez-vous parler, demanda Trevaniow, de ces petits insectes rouges qui rampent sur cette souche ?

— Oui. Les connaissez-vous, patron ?

— Ce sont des espèces de fourmis !

— Pa terra ! patron ! Ce sont les fameuses fourmis à feu. Nous les avons troublées dans leur sommeil. Notre poids a fait enfoncer le monguba dans l’eau, et l’eau est entrée dans leur malocca. Cela les a fait sortir, et maintenant elles sont aussi méchantes et aussi dangereuses que des jaguars. Santo Dios ! Il faut nous mettre hors de leur atteinte, ou dans dix minutes il n’y aura plus un pouce de peau sur nos corps qui soit sans morsure.

— C’est vrai, oncle, dit le jeune Richard, Munday n’exagère point. Si ces pernicieuses bêtes se jettent sur nous — et cela arrivera si nous ne fuyons pas, — elles nous suceront jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il nous faut sauter dans l’eau. »

À l’air dont il parlait, on sentait qu’il n’y avait point d’exagération ; les insectes continuaient leur marche vers le côté de la souche occupé par les aventuriers, formant une large et menaçante phalange.

Heureusement, les hommes étaient encore pourvus de leurs ceintures natatoires ; et bientôt tous se replongèrent au milieu des larges feuilles des lis d’eau.

Une fois dans l’eau, la question fut de savoir ce qu’on ferait ensuite. Cependant on ne songea pas un moment à abandonner l’embarcation providentielle que les insectes rendaient dangereuse pour le moment. Munday assurait que les fourmis à feu ne les suivraient point dans l’eau. Les aventuriers ne s’éloignèrent donc que de quelques pieds du tronc si mal hanté, et, s’appuyant sur leurs appareils natatoires, ils firent halte pour examiner la situation.

Il s’agissait de prendre possession de la souche, et d’en chasser les insectes, qui fourmillaient sur son écorce en colonnes serrées, comme des soldats allant livrer bataille.

Munday réfléchissait profondément.

« Comment nous en débarrasser ? » demanda Trevaniow.

L’Indien hésitait à répondre ; il se souvenait de l’école qu’il avait faite lors de la traversée de la lagune.

« Ne pouvons-nous rassembler quelques feuilles sèches et allumer une flambée qui consumera jusqu’au dernier rejeton de ces maudits insectes ? dit Tipperary Tom.

— Vous n’y songez pas, Tom ; quand même vous pourriez faire le feu en question, quelle